Schubert / Müller vs. Janssens / Pessoa

par

Eine schöne Müllerin. Daan Janssens (1983-). Spectra, Filip Rathé, Thomas Blondelle. 67’39". 2024. Livret: néerlandais et anglais. Etcetera Records. KTC 1827.

Eine schöne Müllerin est une réinterprétation, par le compositeur brugeois Daan Janssens, du cycle de lieder La Belle Meunière composé par Franz Schubert en 1823 sur 20 des 25 poèmes éponymes sortis de la plume du poète allemand Wilhelm Müller : une vision actuelle qui dépasse la simple modernisation par l’adjonction d’éléments textuels et musicaux et, à la manière du logement intergénérationnel qui favorise la cohabitation entre retraités à la maison vide et étudiants en mal de kot, l’entrelacement des deux époques, poétiques et sonores.

L’histoire ne change pas, aux ficelles imbibées du romantisme et de ses (exacerbés) sentiments : amour intense, rêve fou, espérance déçue, chagrin délétère et désespoir mortifère – ainsi donc, l’inconséquente fille du meunier change d’avis et délaisse le jeune voyageur pour le vil chasseur : le ton est d’abord joyeux, puis devient mélancolique, triste et violent ; laissant un suicidé par noyade à la rubrique faits divers.

Mais Janssens double certains chants par de nouveaux à partir de textes du poète portugais Fernando Pessoa, introduit des interludes instrumentaux, ou garde le texte original (le lieder 15) tout en proposant une nouvelle partition : deux mondes s’entrecroisent ainsi au long de l’œuvre, ou plutôt deux fois deux mondes, littéraire Müllerien et Pessoaien et musical Schubertien et Janssensien, qui recontextualisent le propos du 19ème siècle dans l’environnement du 21ème.

Même si le texte de Pessoa est choisi pour son affiliation romantique et si Janssens respecte l’esprit du langage tonal de Schubert, il apporte une contribution musicale contemporaine par le choix de substituer, au piano original, un ensemble de neuf interprètes et par l’enrichissement du langage de sonorités bruitées, percussives ou issues de l’usage de techniques de jeu étendues, un langage qui s’affirme au fur et à mesure qu’on avance dans la partition – comme dans Mein!, ou dans les miniatures instrumentales. Le tout est confié aux mains de Spectra, dirigé par Filip Rathé, un ensemble qui a à cœur de promouvoir la musique d’aujourd’hui des compositeurs installés en Flandre.

Si le romantisme n’est pas ma période préférée de l’histoire de la musique savante, je suis bien plus intéressé par le travail de Daan Janssens (dont les (Paysages – études) avaient retenu mon attention), qu’on détecte à l’écoute attentive de Eine schöne Müllerin, cycle hybride aux pieds enjambant deux siècles.

Son : 7 – Livret : 8 – Répertoire : 6 – Interprétation : 7

Chronique réalisée sur base de l'édition CD

Bernard Vincken

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