Second volume d’une anthologie du clavecin baroque allemand par Yoann Moulin

par

Stylus luxurians. Matthias Weckmann (1616-1674) : Toccate en mi mineur et ré mineur ; Canzone en ré mineur et ut mineur ; Partita en si mineur ; Toccata vel praeludium en ré mineur. Heinrich Scheidemann (c1595-1663) : Benedicam Domino. Franz Tunder (1614-1667) : Praeludium en sol mineur. Johann Jacob Froberger (1616-1667) : Ricercare XI en ré mineur. Christian Ritter (c1645-c1725) : Suite en ut mineur ; Sonatina en ré mineur. Yoann Moulin, clavecin. Livret en français, anglais, allemand. Mai 2020. TT 56’09. Ricercar RIC 433

En avril 2018 fut enregistré le premier volume d’une anthologie que le label dirigé par Jérôme Lejeune consacre au clavier germanique du XVIIe siècle : il se partageait entre Heinrich Scheidemann et Samuel Scheidt, deux élèves de Sweelinck à Amsterdam. L’angle de cette série est apparemment chronologique, moyennant tuilage puisqu’on retrouve Scheidemann dans ce second volume, par le biais d’un Benedicam Domino dérivé d’un motet de Hieronymus Praetorius, que l’on entend plus couramment aux tuyaux (il figurait par exemple dans l’album North German organ masters de Gustav Leonhardt, Sony 1994). Le programme se voue à Matthias Weckmann, auquel Ricercar avait déjà dédié un plein CD (mars 1998) sous les doigts de Siebe Henstra (clavecins et clavicorde).

À l’instar de Froberger, Weckmann cultiva les influences italienne et française. Elles s’expriment respectivement dans les formes de canzone & toccata, et dans la Suite de danses inspirées par la Cour louis-treizième. Dommage que les Suites en mi et ut mineur aient été écartées, d’autant que la durée permettait aisément de les inclure. On croise en revanche un Praeludium que Franz Tunder écrivit pour l’orgue, et deux œuvres de Christian Ritter, témoin de la génération suivante qui lui aussi puisa à divers modèles : la Suite en quatre parties d’esprit français, et une Sonatina dans la veine des polyptiques buxtehudiens.

La prestation de Yoann Moulin valorise facture et esthétique de ces différentes manières : le caractère impérieux et questionneur des Toccatas dans le sillage de Frescobaldi, la piquante volubilité de la Canzone en ré mineur, la schistosité imitative de la Canzone en ut mineur. Pour autant, son jeu reste globalement moins contrasté que dans l’excellente intégrale gravée par Noëlle Spieth (Solstice, 1991) et se distingue par sa concentration, son intériorité, sa sérénité, sa fluidité, toutes vertus qui, disque après disque, portent la marque stylistique de cet interprète. Entre l’art déclamatoire et « une rhétorique sensuelle qui ne symbolise plus le divin mais s’adresse désormais aux sentiments de l’être humain » (nous dit l’artiste dans la notice), on sent Yoann Moulin mieux en phase avec cette finesse-là que dans l’exacerbation du fantasque et des passions de l’âme.

On appréciera cette délicatesse dans un Ricercar de Froberger d’une exquise gracilité. La Partita de Weckmann, la Suite de Ritter apparaissent même un brin fragilisées, non de technique, mais de ton, d’humeur, comme pour préserver l’intimisme dérivé de l’art des luthistes. Cette retenue convient bien aux Allemandes et Sarabandes, peut-être moins aux Courantes qui restent sur la réserve. Dans Ritter, l’instrument semble d’ailleurs un peu effacé, comme si les micros lui offraient une moindre ampleur. Ce second tome invite un clavecin de Philippe Humeau d’après Ruckers, mais celui que nous entendons ici (photographié dans le livret mais non présenté) n’est pas le même : son ravalement traduit le changement d’époque. L’intelligence et la touchante sensibilité de Yoann Moulin ravissent l’écoute et sont attendues dans le prochain volume qui, si l’on a bien compris le livret, devrait se focaliser sur la Suite à la française.

Son : 8,5 – Livret : 8 – Répertoire : 9 – Interprétation : 9

Christophe Steyne

 

 

 

 

 

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