Sir Arthur Sullivan, un digne serviteur de Shakespeare 

par

Sir Arthur Sullivan (1842-1900) : Macbeth, Les Joyeuses Commères de Windsor, King Arthur, musiques de scène. Maggie McDonald, mezzo-soprano ; RTÉ Chamber Choir ; RTÉ Concert Orchestra, direction Andrew Penny. 1993. Notice en anglais. 50.45. Naxos 8.555210.

Le label Naxos poursuit sa série de rééditions de gravures Marco Polo des années 1990. Sullivan y est bien servi, avec plusieurs programmes parmi lesquels nous avons signalé, le 9 août 2021, un premier volume déjà consacré à la musique de scène (Le Marchand de Venise, Henry VIII) et, le 23 janvier dernier, le ballet Victoria and Merrie England, destiné à honorer en 1897 le Jubilé des soixante ans de règne de la souveraine. Nous renvoyons le lecteur à ces présentations pour ce qui concerne les aspects biographiques du compositeur.

Shakespeare est à nouveau mis en évidence pour ce qui était, lors de la publication en 1995 du disque Marco Polo (8.223635), une première discographique d’extraits des Joyeuses Commères de Windsor et de Macbeth, auxquels sont joints des chœurs pour King Arthur. Au-delà de sa production pour l’opéra ou l’opérette (quatorze partitions en collaboration avec le librettiste William S. Gilbert), Sullivan est détenteur d’un abondant catalogue dont des pans entiers sont encore à explorer. Il signe dès ses vingt ans une série de musiques de scène dont la première, La Tempête, créée en 1861 à Leipzig où il termine ses études au conservatoire, honore Shakespeare. Sullivan reste fidèle au génial dramaturge en 1874 avec une production sous forme de pantomime qui voit le jour à la période de Noël. Cinq extraits des Joyeuses commères de Windsor permettent de se rendre compte de la verve et de l’enjouement avec lesquels il se lance dans ce projet, vingt-cinq ans après l’opéra d’Otto Nicolaï pour lequel le Londonien éprouve une telle admiration qu’il va se refuser à écrire une ouverture, considérant qu’il ne peut rivaliser avec l’inspiration du musicien allemand. Sullivan se contente d’un prélude de courte durée et y joint une Danse des fées à la manière de Mendelssohn. Il réutilise des thèmes légers de son ballet L’île enchantée de 1864 (que l’on peut découvrir sur un autre CD Naxos 8. 555180). Deux airs sont dévolus à une mezzo-soprano, en l’occurrence ici la belle voix de Maggie McDonald, et un autre aux chœurs, dans un cadre dansant. L’esprit alerte de la comédie est bien respecté.

En 1888, toujours à la période de Noël, Sullivan est sollicité par une célébrité, l’acteur et régisseur Henry Irving (1838-1905) pour un univers bien différent, celui de Macbeth. Cette fois, la tragédie domine et le compositeur, en bon connaisseur de Shakespeare qu’il est, souligne avec force et tension quelques tableaux essentiels, comme celui du chœur des sorcières. Si son écriture n’atteint pas la profondeur ni la dimension donnée au sujet par Verdi, Sullivan n’hésite pas cette fois à écrire une ouverture dramatique pleine d’élans, ainsi que des préludes ou introductions empreints d’une grandeur mystérieuse pour les actes IV à VI. Ici aussi, il réutilise du matériel thématique de L’île enchantée. 

La collaboration entre Sullivan et Irving ayant porté ses fruits, une autre va voir le jour en 1895 pour une adaptation de King Arthur, signée par l’écrivain Joseph Comyns Carr (1849-1916) et jouée par l’ami comédien du compositeur. Le sujet plait à ce dernier, car un projet sur le thème avait été initié en 1870 mais n’avait pas pu aboutir en raison du décès prématuré du librettiste. Des fragments écrits pour l’opéra avorté sont utilisés, et la pièce et son accompagnement seront bien accueillis. Après la disparition de Sullivan, son secrétaire Wilfred Brendall (1850-1920), musicien modeste mais dévoué, rassemblera le manuscrit existant et l’ordonnera pour en faire la présente suite qui fait la part belle aux chœurs : esprits des lacs, esprits invisibles, chant du Graal ou du mois de mai et une marche funèbre jalonnent un parcours attrayant. Sullivan manie avec adresse les parties chorales et crée des atmosphères savamment dansantes, à la fois subtiles et originales. Il a bien saisi la dimension mythique de l’épopée médiévale.

Il faut reconnaître à ce créateur anglais, souvent réduit aux seuls opéras « Gilbert et Sullivan » qui occultent le reste de sa production, la capacité de composer une musique très agréable qui s’écoute avec un plaisir certain. L’orchestration est dynamique, les climats bien rendus, les nuances et les couleurs travaillées avec finesse, lyrisme, vaillance ou grandeur. A la tête du RTÉ Orchestra, qu’il dirigeait déjà pour d’autres disques de cette série Sullivan, le chef britannique Andrew Penny (°1952) démontre sa proximité avec cet univers romantique à ne pas négliger, qui est aussi, dans le cas présent, un apport à la connaissance de la musique chorale anglaise dont on connaît l’importance et la qualité. Le retour de ces premières mondiales discographiques est une belle initiative. D’autant plus que les chœurs du RTÉ Chamber Choir se révèlent à la hauteur d’un programme réjouissant.

Son : 9  Notice : 9  Répertoire : 8  Interprétation : 9

Jean Lacroix

 

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.