Six jeunes compositeurs touchent l’alto

par

Jimena Maldonado (1988 -), Anselm McDonnell (1994-), Sarah Lianne Lewis (1988-), Carlijn Metselaar (1989-), Patrick Ellis (1994-), Emily Abdy (-) : Inner Voices. Laura Sinnerton. 50’30 – 2021 – Livret en : anglais. Birmingham Record Company. BRC012. 

Partant du constat que l’alto est insuffisamment approché par les jeunes compositeurs (« ce n’est pas simplement un grand violon »), la soliste irlandaise Laura Sinnerton sollicite six compositions auprès d’artistes de moins de 35 ans, au Royaume-Uni et aux Pays-Bas – une façon, pour celle qui tient l’instrument, de consacrer du temps à chacun de ceux qui travaillent sur la partition, afin d’apprivoiser l’alto, d’entendre concrètement ce dont il est (ou pas) capable, d’en exploiter les possibilités et d’en contourner ses limites. Le confinement, d’abord perçu comme un empêcheur de jouer en rond, devient finalement un allié pourvoyeur d’heures autrement perdues à tourner en rond – même si, en tant que telle, une conversation en visio reste en deçà d’une séance de studio.

Les sensibilités des compositeurs présents sur cet album (leurs « voix intérieures » pour en reprendre le titre), croisés au fil d’expériences musicales au Pays de Galles, à Birmingham ou ailleurs, font de ce disque un patchwork, plutôt inspiré (et encourageant quant à la vitalité de la musique de création). 

La compositrice et photographe mexicaine Jimena Maldonado (elle vit à La Haye) exploite joliment sa double spécialisation en combinant éléments sonores et visuels : ici, inspirée par une série de photos d’Anthony McCall (des poutres en bois sur une table disparaissent progressivement au profit de traces humides), elle joue d’une dissolution graduelle des couches sonores à l’alto, où les notes naturelles s’effacent finalement au profit des harmoniques. Avec Anselm McDonnell (Belfast), on passe d’un discours linéaire à une exploration cyclique des états d’âme de John Paton, missionnaire écossais du 19ème siècle : dans le remous circulaire né de la liberté laissée à l’interprète de combiner neuf modules musicaux, une progression se dégage, qui transforme l’anxiété en une affliction presqu’apaisante. Apaisée est la musique de Sarah Lianne Lewis (Pays de Galles) : dans Weathering, où elle explore l’idée de la transformation lente de la matière soumise aux éléments, elle ouvre l’instrument à une dynamique délicate, subtile et imaginative.

L’approche de Carlijn Metselaar (hollandaise basée à Cardiff) est délibérément plus physique et profite de la proximité avec l’interprète pour combiner clarté d’écriture et souplesse musculaire, instruction écrite et liberté de jeu : une sorte d’équilibre, d’élasticité partagée, entre composition et interprétation – dont la mise en forme respire peut-être un peu l’exercice. Combinations, Phrases, de Patrick Ellis (Londres) privilégie, au contraire, un processus abstrait et s’architecture autour de mécanismes de répétition, d'altération et de déviation : de courtes phrases esquissées prennent forme et chantent peu à peu, hypnotiques, dans l’esprit de celui qui les écoute. Le disque se clôt sur Ruminant, la contribution de l’anglaise Emily Abdy, au final ambigu et aux mots déclamés (par Laura Sinnerton, maintenant « speaking violist »), rugueux et revendicateurs, et aux sonorités brutes, pincées comme autant de pichenettes entre enfants trop grands pour les caresses et trop petits pour les coups de poing.

Son : 7 – Livret : 6 – Répertoire : 9 – Interprétation : 8

Bernard Vincken

 

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