Sophie Pacini met en place un bien beau puzzle 

Puzzle. Oeuvres de Frédéric Chopin (1810-1849) et Alexandre Scriabine (1872-1915). Sophie Pacini, piano. 2022.  Textes de présentation en anglais, français et allemand. 53’07’’. Fuga Libera- FUG 811

Artiste intelligente et réfléchie, Sophie Pacini a composé pour cette parution un puzzle mêlant une belle sélection d’oeuvres de Chopin et un choix de Préludes de Scriabine qui sont à la fois un reflet décanté et un contrepoids aux créations du maître polonais. (Pour plus de détails sur l’approche de la pianiste, on consultera utilement sur ce site l’interview de la musicienne germano-italienne récemment recueillie par notre rédacteur en chef.)

A une époque où la préférence va aux enregistrements complets par types d'œuvres (Études, Préludes, Nocturnes, etc.), on constate avec plaisir que l’interprète remet à l’honneur le genre du récital de piano varié et finement composé.

Dans un domaine où la profusion de versions de qualité exerce une rude concurrence, la jeune pianiste se démarque par une approche avant tout sérieuse et d’une réelle profondeur (voire un peu sombre), renonçant heureusement à toute superficialité ou clinquant et se traduisant par des interprétations impeccablement conçues et totalement contrôlées, même si c’est parfois au détriment de la spontanéité que d’autres ont su trouver dans cette musique. 

Dès la Première Ballade qui ouvre le disque, cette approche posée et intériorisée -reposant par ailleurs sur une technique imparable : octaves invariablement précises, gammes parfaitement roulées- se remarque immédiatement par des phrasés, des nuances et des timbres très travaillés. Après un Premier Impromptu rendu avec légèreté et élégance, Sophie Pacini sait aussi convaincre dans un très beau choix d'Études de Chopin.

C’est ainsi que le chant de la main gauche est très bien mis en valeur dans l'Étude Op. 25/10 où on apprécie la plénitude du son et le sérieux de la pianiste. Dans la N° 10 du même recueil, Sophie Pacini domine sans problèmes les redoutables octaves, alors que l’épisode Lento permet de goûter une belle transparence sonore et une réelle élégance dans son art de la déclamation. La pianiste offre une interprétation de très grande classe de l’Etude Op. 25/11, avec une main gauche ferme et d’impressionnantes cascades de doubles croches à la main droite. La N° 12 n’est pas moins réussie : on admire ici à nouveau l’égalité des traits mais aussi la façon dont l’interprète rend la passion et la houle de la musique au point de nous faire oublier les difficultés techniques. 

La sélection de Valses de Chopin (peu fréquentées au disque comme au concert ces derniers temps), lui permet de faire preuve de légèreté et d’élégance mais sans rien de salonnard dans la Première et de distinction et d’un brin de nostalgie dans la Deuxième. La Valse N° 11 -toute empreinte de poésie et légèreté rêveuse- est particulièrement réussie, alors que la Quatorzième séduit par sa gaieté sautillante. 

Le célébrissime Vingtième Nocturne est rendu avec sérieux (et quelques micro-décalages intentionnels où la main gauche précède légèrement la main droite). Les aériennes guirlandes de notes si chopiniennes sont exécutées sans le moindre effort. 

C’est sur l'Étude Op. 10 N° 1 de Chopin que se conclut le disque. La superbe égalité des traits impressionne en dépit d’une sonorité qui a parfois tendance à se durcir dans les forte et les octaves de la main gauche.

Les trois Préludes de l’Opus 11 de Scriabine qui ponctuent le disque sont interprétés avec distinction et sobriété mais sans pâmoisons inutiles (N° 4), légèreté, transparence et une belle qualité de réflexion (N° 5) et une touchante sérénité (N° 22).

Son 9 - Livret 9 - Répertoire 10- Interprétation 9

Patrice Lieberman