Éric Tanguy enrichit le répertoire français pour violon et orchestre d’une bien belle Ballade

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Éric Tanguy (né en 1968) est l’un des compositeurs français les plus joués actuellement. Reconnu comme un connaisseur averti de l’orchestre, ses créations symphoniques sont des événements qui  comptent. La dernière était Strange Times, par l'Orchestre National de France sous la direction de Kristiina Poska, le 4 février 2021. La prochaine sera le Concert, par le même orchestre, cette fois dirigé par Simone Young, le 19 juin 2025. Et ce soir, il s’agissait donc de la Ballade pour violon et orchestre, par Renaud Capuçon, Daniel Harding dirigeant l’Orchestre Philharmonique de Radio France (à noter que toutes ces créations ont eu lieu dans l’Auditorium de Radio France).

Corrigeons tout d'abord une erreur qui figure dans le programme de salle (et reprise dans l’annonce sur France Musique) : cette pièce n’est pas « dédiée à la mémoire du pianiste Nicholas Angelich ». Elle est en effet écrite « in memoriam Nicholas Angelich », et si elle a bien été « créée par deux interprètes privilégiés du compositeur français : Renaud Capuçon et Daniel Harding », c’est en réalité à eux deux qu’elle est dédiée. 

Éric Tanguy a un profond sens de l’amitié, et a su, au fil des années, nouer des relations fidèles avec ses interprètes. On pourrait presque dire que c’est pour lui une nécessité artistique, à la fois technique et psychologique, que de penser à tel musicien ou telle ∙o musicienne quand il compose. Si Daniel Harding est relativement récent dans sa sphère d’Éric Tanguy en tant que chef d'orchestre (il en avait déjà dirigé deux pièces symphoniques d’envergure : Matka en 2020, et Constellations en 2021), il connaît sa musique depuis longtemps. Quant à Renaud Capuçon, il a noué avec le compositeur une relation de longue date, depuis la création (et l’enregistrement) de la Sonate pour violon et violoncelle en 2003. Il a également à son répertoire la Sonata breve pour violon seul (1999) et Mélancolie pour violon et piano (2000). Il avait par ailleurs invité le compositeur à un concert-portrait, à Aix-en-Provence, en 2018.

Mais il voulait une pièce pour violon et orchestre, qui ne soit pas un nouveau concerto (Éric Tanguy en a déjà deux pour violon à son catalogue), et qui puisse, sans que ce soit une condition sine qua non (dans une interview, le violoniste évoque d'ailleurs aussi le Tzigane de Ravel, ou Sur le même accord de Dutilleux, qui ont également besoin d’un « complément ») être jouée en regard du Poème de Chausson. D’où la commande, de la part de Radio France, de cette Ballade pour violon et orchestre, dont la durée ne devait pas dépasser 15 minutes. 

Le terme « Ballade », qui fait ici référence au genre poétique très prisé des écrivains romantiques, est relativement peu utilisé en musique (ou alors au piano seul, avec les célèbres et sublimes pièces de Frédéric Chopin et de Johannes Brahms). Dans le répertoire pour violon, il n’y a guère que le nom d’Eugène Ysaÿe qui vienne à l’esprit (et encore s’agit-il du sous-titre d’une des Six Sonates pour violon seul – la Troisième, probablement la plus souvent jouée). Et, dans la musique concertante, c’est à nouveau le piano qui y a déjà droit, avec l’Opus 19 de Gabriel Fauré. Cette nouvelle Ballade pour violon et orchestre n’est cependant pas tout à fait une première dans la musique française, puisqu’en 1926 Louis Vierne en a composé une (initialement intitulée, du reste, Poème). D’une durée d’une vingtaine de minutes, il est actuellement impossible de s’en faire une idée autrement que dans sa version avec accompagnement de piano. C’est bien dommage (il semble même qu’elle n’ait jamais été jouée, d’où notre suggestion aux futurs interprètes de la Ballade d’Éric Tanguy : l’associer à celle de Louis Vierne, en création mondiale – par exemple l’année prochaine, pour son centenaire ?)

La Ballade d’Éric Tanguy, elle, n’aura pas eu besoin d’attendre un siècle pour être créée. Et nous pouvons, sans trop nous avancer, imaginer que ceux qui ont raté la création mondiale à Radio France auront d’autres occasions de l’entendre. Avec sa forme libre, en quatre parties contrastées (et de durées sensiblement égales) qui s’enchaînent, dont l’une est une longue cadence, elle est assez proche d’un court concerto. Le programme de salle précise que le compositeur emploie « un langage musical logique et compréhensible qui ne renie pas les innovations et ne sacrifie jamais la quête de la beauté ». 

D’emblée, la musique nous saisit, et ne nous lâchera plus. La première partie est d’une grande tension, avec un violon qui va chercher de grands intervalles à la fois lyriques et douloureux, et un orchestre à la limite de la saturation malgré un effectif plutôt modeste (bois et cuivres par deux, sans trombone). La deuxième partie est tendre, rêveuse : le violon est moins dans la confrontation, mais davantage dans le dialogue avec l’orchestre, et en particulier avec les instruments à vent. Le tempo ralentit, et mène à la troisième partie, qui n’est autre que la cadence. Le compositeur, violoniste de formation, y fait preuve de toute sa connaissance, et surtout de son amour pour cet instrument qu’il permet de briller de tous ses feux expressifs. Le tour de force est qu’à aucun moment des œuvres d’autres compositeurs ne viennent à l’esprit. À la fin, le soliste est rejoint par le violon solo de l’orchestre (épatant Nathan Mierdl), en une sorte de joute sonore où ils rivalisent d’ardeur conquérante... sans gagnant. Et c’est la quatrième et dernière partie, d'abord de plus en plus fiévreuse et intense. Puis, alors que l’on s’attend à une fin paroxystique, le soliste calme le jeu, et quelques notes aériennes de vibraphone apportent une conclusion irréelle.

Si l’omniprésence médiatique de Renaud Capuçon, et ses multiples et diverses fonctions dans de nombreuses institutions peuvent laisser quelque peu perplexe, il faut lui reconnaître ce désir de susciter des œuvres nouvelles (il y a quelques années, il a enregistré un CD « Concertos pour violon du XXIe siècle », avec des œuvres de Wolfgang Rihm, Pascal Dusapin et Bruno Mantovani). Et de les jouer avec le même engagement que les grands classiques du répertoire.

Cela s’est vérifié avec l’enchaînement des deux œuvres qu’il a jouées. Après la Ballade, le Poème (1896) d’Ernest Chausson (1855-1899), donc. Techniquement, Renaud Capuçon semble infaillible. Tout est parfaitement maîtrisé, propre, juste, irréprochable. Son engagement émotionnel est réel. Mais il faut avouer que, sur le plan artistique, il est en-deçà de ce que proposent d’autres violonistes, parfois moins exposés. Sa sonorité, au demeurant magnifique avec son Guarenri del Gesù « Panette » qui avait appartenu à Isaac Stern, est assez constante. Il possède une palette expressive qui ne paraît pas illimitée. Son vibrato, par exemple, est toujours sensiblement le même. N’empêche : assurément, il sert avec conviction les œuvres qu’il joue.

Quant à Daniel Harding, il voit grand. Sa direction respire l’aisance, sans tomber dans aucune facilité. Chaque geste est au service de la profondeur musicale. Nous le sentons dès le début, très lent et très expressif : il donnera de ce Poème (tout court) la dimension d’un grand Poème symphonique (qui était le titre précédent), qui semble lorgner du côté de ces grandes légendes nordiques.

C’était un « concert court sans entracte ». Après une première partie « musique concertante française », nous pouvons tout de même parler d’une deuxième partie, avec les fameuses Variations Enigma pour orchestre (1899), du compositeur britannique Edward Elgar (1857-1934). C’est une série de quatorze portraits qui ont leur part de mystère. Certes, nous savons maintenant à qui chacun correspond. Mais certaines « énigmes » demeurent.

Son compatriote Daniel Harding est né à Oxford, et a étudié à Cambridge. Dans ces villes anglaises qui sont les symboles de la plus haute exigence intellectuelle, il n’est sans doute pas d’usage de manifester son attachement avec effusion. L’affection s’exprime autrement. L'émotion dégagée par cette direction d’orchestre vient aussi d’un très grand raffinement. 

Il met de la musique dans chaque note. Les variations s’enchaînent avec une telle fluidité que l’on passe d’un portrait à l’autre comme si tous les personnages étaient dans la même pièce (peut-être un verre du traditionnel sherry à la main, dans la salle de réception toute boisée de l’un des mythique et vénérables grands collèges d’Oxford ou de Cambridge ?), avec nous. Et chacun est interprété avec tant de conviction, de soin et d’amabilité qu’il donne envie de connaître la personnalité ainsi incarnée. 

Au milieu, il y a le célèbre (et sensiblement plus long) Nimrod, couramment joué, en Angleterre, à l’occasion de funérailles nationales. Daniel Harding retient les élans des musiciens, afin de ménager un immense et profond crescendo, qui a ainsi des allures de Boléro de Ravel... qui se finirait dans le calme au dernier moment. 

Paris, Auditorium de Radio France, 27 février 2025

Pierre Carrive

Crédits photographiques : Christophe Abramowitz / Radio France

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