Sylvie Brely, à propos de la Nouvelle Athènes-Centre des pianos romantiques
Sylvie Brely est à l'initiative de la Nouvelle Athènes-Centre des pianos romantiques dont elle est la directrice. Cette belle initiative ambitionne de faire redécouvrir les pianos historiques en permettant à de jeunes musiciens et musiciennes de développer leur pratique tout en contribuant à l’émergence d’un écosystème musical. Crescendo-Magazine rencontre Sylvie Brély avant un festival de concerts sur le thème Beethoven-Variations.
Pouvez-vous nous présenter le projet de La Nouvelle Athènes-Centre des pianos romantiques ?
Depuis 2018, La Nouvelle Athènes fédère une centaine de membres : pianistes, clavecinistes, musiciens, collectionneurs et restaurateurs, autour des pianos romantiques. Les membres fondateurs se sont rencontrés à la Fondation Royaumont autour du pianiste, professeur à la Schola Cantorum Basiliensis, Edoardo Torbianelli, des clavecinistes Aline Zylberajch et Aurélien Delage et de jeunes pianistes formés à de nouvelles approches du répertoire sur pianos d’époque : Olga Pashchenko, Luca Montebugnoli, Laura Granero, Artem Belogurov, Octavie Dostaler-Lalonde -artistes chercheurs indépendants, et Sebastian Bausch pianiste-organiste doctorant à l’Université des Arts de Berne. Nous articulons nos actions sur 2 axes : le premier est la transmission des savoirs sur l’interprétation historiquement informée (rencontres, ateliers, coachings personnalisés, concerts publics et vidéos à la demande sur une plateforme dédiée). Le second axe est la constitution d’une collection de pianos d’époque d’intérêt général accessible aux membres
Nous ajouterons prochainement un 3e axe en direction des jeunes publics grâce à un partenariat naissant avec le Conservatoire Municipal du 19e Arrondissement de Paris. Voir des enfants de 9 ans toucher un Streicher de 1847 ou un Erard de 1806 est une expérience à développer, elle ouvre des perspectives historiques et sensorielles pour ces pianistes en devenir.
Comment sélectionnez-vous les pianos historiques ?
Nous avons une commission constituée des membres fondateurs, d’un collectionneur et faisons appel aux Maîtres d’Art Christopher Clarke, Sylvie Fouanon et leurs équipes. Notre idéal sera de proposer des échantillons des 3 grandes factures européennes : française, germanique et anglaise entre 1750 et 1850, ce qui pourrait aboutir à 9 pianos… Nous avons actuellement 2 pianos.
Nous avons débuté avec un piano carré Erard 1806 restauré par le Maître d’Art Christopher Clarke et financé par 155 donateurs ! Nous souhaitions, en tant qu’association française, mettre à l’honneur cette facture et surtout le répertoire du 1er romantisme français autour de 1800 (Louis Adam, Daniel Steibelt, les Jadin, H.de Montgeroult, Herold, Kalkbrenner…) qui fait l’objet d’un cycle d’ateliers de formation en juillet et octobre 2021.
Le deuxième piano représente l’école viennoise à l’apogée du romantisme : un piano à queue Johann Baptist Streicher 1847, marteaux en cuir, simple échappement… idéal pour Chopin, Schumann, Liszt, Mendelssohn, Schubert et le dernier Beethoven. C’est la Fondation l’Or du Rhin qui nous a offert ce piano, acheté dans la collection exceptionnelle du restaurateur néerlandais Edwin Beunk.
Nous espérons acquérir un piano XVIIIe, probablement un piano carré « Clavecin Royal 1788 » : c’est une esthétique pré-romantique de la résonance à découvrir.
Nous avons filmé d’autres pianos XVIIIe, le Cristofori 1726 et le Silbermann 1749, disponibles sur notre plateforme dédiée.
Au sein d’une scène parisienne très dense en propositions de concerts, comme parvenez-vous à développer La Nouvelle Athènes ?
Vaste question ! Nous avions réussi à nous faire remarquer en 2019 grâce à plusieurs partenariats : la mise à disposition gracieuse de la Salle Cortot pour un week-end de lancement (conférences, concerts réunissant près de 25 artistes européens du monde du piano romantique, masterclasses pour les élèves de l’Ecole Normale de Musique de Paris), le partenariat avec le Musée du Petit Palais dans le cadre de l’exposition Paris-Romantique 1815-1848 et l’intérêt de la Presse spécialisée…Au moment du déconfinement, retrouverons-nous notre public de 2019 ?
Fin juin et début juillet, vous organisez un moment nommé Beethoven-Variations. Pouvez-vous nous présenter la thématique de ce week-end ?
Les mercredi 30 juin et jeudi 1er Juillet, à la Salle Colonne Paris 13e, nous « ressuscitons » le festival « Beethoven variations » initialement prévu en 2020. Il s’agit de présenter les chefs d’œuvres de Beethoven sous le prisme de la variation, activité créatrice de nouvelles formes, dans des œuvres connues telles les Variations Diabelli, ou à découvrir dans d’autres, tels les Thèmes & Variations pour flûte et piano op.105 et 107, justement préfiguratrices des Diabelli. Les Variations Wo.80 ou la Sonate op.109 illustreront également ces recherches musicales. Et aussi un élargissement du concept de variations avec le Trio de l’Archiduc dans deux versions : une sur piano moderne et une sur piano d’époque.
Ce sera l’occasion d’écouter pour la 1ere fois à Paris la flûtiste Anna Besson avec la pianiste Olga Pashchenko le mardi 30 juin à 19h30. Le mercredi 1er Juillet, ce seront les trios Stimmung (Michaël Levinas, Christophe Giovaninetti, Raphaël Chrétien) et Marie Soldat (Laura Granero, Clive Brown, Aldo Mata). Une table ronde permettra de dialoguer autour des différentes lectures possibles de Beethoven.
Ces concerts seront captés et présentés sur notre plateforme https://lanouvelleathenes.okast.tv où ils rejoindront les captations réalisées pendant le confinement autour de Beethoven.
La Nouvelle Athènes développe également des projets discographiques. Pouvez-vous nous en parler ?
Nous avons édité deux disques « live » parus chez Son An Ero puis Paraty. Celui des concerts du Petit Palais en juin 2019 sur un piano Erard 1838 (Collection Pier Paolo Dattrino) où Olga Pashchenko, Edoardo Torbianelli, Laura Granero et l’Ensemble Lélio évoquent l’esprit des salons romantiques au temps de Liszt, Kalkbrenner, Chopin et Czerny. Et celui du concert de 2017 à la Fondation Royaumont sur un piano Pleyel 1842 (Collection Edwin Beunk) où Edoardo Torbianelli et Fernando Caida-Greco mettent à l’honneur le violoncelle romantique de Chopin et son ami Franchomme.
Nous souhaiterions en produire d’autres, bien que le modèle économique du disque ne soit pas favorable. Nous avons donc investi dans les captations vidéos et leur présentation sur notre plateforme. La dimension visuelle apporte beaucoup dans la découverte et la connaissance des pianos d’époque ainsi que sur les positions des mains, la pédalisation tout à fait différente du piano moderne…
La situation liée à la pandémie a été compliquée pour le monde de la culture. Comment avez-vous traversé cette période ?
La pandémie nous a contraints à nous rencontrer virtuellement et à nous lancer dans cette collection de vidéo patrimoniales ! Nous avons programmé sur Zoom une dizaine de Tables Rondes qui ont chacune réuni près de 100 personnes à travers le monde -elles sont toujours disponibles sur la plateforme. Nous avons fait du coaching à distance sur les premiers enregistrements des derniers romantiques entre la Suisse et Paris.
Et nous avons capté tous les concerts initialement prévus en présentiel que l’on retrouve à nouveau sur la plateforme. Ce sont des efforts financiers énormes car nous n’avons pu collecter que 10% d’une billetterie de concert en présentiel. Le soutien de Mécénat Musical Société Générale a été capital ainsi que les aides du fonds de sauvegarde du Centre National de la Musique.
Comment voyez-vous l’avenir de la musique classique après cette pandémie ? Les jeunes artistes ont été en première ligne des victimes de cette période. Comment voyez-vous leur intégration dans le milieu professionnel ?
La musique classique -et le spectacle vivant- a été durement touchée, et particulièrement les artistes s’intéressant aux pianos d’époque car ils ne sont pas dans les propositions « mainstream » des salles de concerts. D’une part ils doivent consacrer beaucoup de temps à leurs recherches et pratiques sur pianos d’époque et, d’autre part, les salles n’ont souvent pas les pianos d’époque à disposition. La situation de ces artistes, qu’ils soient déjà reconnus par leurs pairs ou tout juste sortis des établissements supérieurs, est particulièrement délicate car il n’y a pas assez de programmateurs intéressés par cette démarche et dans ce contexte de crise, les programmateurs ont tendance à favoriser les artistes connus pour être sûrs de remplir leurs salles.
La Belgique est plus chanceuse que la France de ce point de vue. La présence et la visibilité du pianiste et chef d’orchestre Jos van Immerseel, de Piet Kuijken, de Claire Chevallier, de Tom Beghin à l’Orpheus Instituut ainsi que la firme de pianos modernes et anciens Chris Maene créent un éco-système favorable et tout un réseau de salles, de Bozar à Bruges, Gand, Anvers qui intègrent régulièrement des propositions sur pianos d’époque. La proximité des Pays Bas et leur grande tradition de jeu sur claviers d’époque ajoute à ces opportunités.
En France, cet éco-système institutionnel n’existe pas encore, c’est d’ailleurs une des raisons d’être de notre association : se fédérer pour donner plus de visibilité au jeu sur pianos d’époque.
Les récentes recherches autour des premiers enregistrements des derniers romantiques sont d’ailleurs là pour mettre en évidence la radicalité du jeu romantique (rubato, glissando, portamento, ornementation voire improvisation libre ; outils raffinés au service de l’expression) par rapport au jeu mainstream s’appuyant sur cette nouvelle objectivité née après la 1ere Guerre Mondiale…
Dans cette crise, les jeunes artistes se sont employés à donner des cours, être organiste salarié, chercher des bourses. Oui, le déconfinement est une promesse de concerts, mais il faudra être patient. Quant à La Nouvelle Athènes, le soutien de Mécénat Musical Société Générale se poursuit mais nous devrons trouver d’autres partenaires et nous implanter dans ce territoire francilien pour arriver à lancer les fondations de cet éco-système vertueux.
Le site de la Nouvelle Athènes : www.lanouvelleathenes.net
Propos recueillis par Pierre-Jean Tribot
Crédits photographiques : DR