Elena Schwarz, cheffe d’orchestre
La cheffe d'orchestre Elena Schwarz fait paraître un album consacré à des oeuvres de la compositrice Elsa Barraine avec le WDR Sinfonieorchester (CPO), une étape majeure dans la redécouverte de cette musicienne. Crescendo Magazine est heureux de s’entretenir avec Elena Schwarz, pour parler de cet enregistrement mais aussi de sa passion de la musique contemporaine puisqu’elle est également cheffe est résidence à l’ensemble Klangforum Wien.
Comment avez-vous découvert ces œuvres de Elsa Barraine ? Qu’est-ce qui vous a motivé à les enregistrer ?
C’est Sebastian Koenig, directeur artistique de l’orchestre de la WDR, qui est venu vers moi avec un projet de disque autour de compositrices. Il a évoqué plusieurs noms, dont celui d’Elsa Barraine, que je connaissais vaguement. Cette impulsion m’a donné l’occasion de me plonger plus sérieusement dans son œuvre : j’ai écouté les quelques enregistrements existants, j’ai lu sur sa vie, sur son parcours… et j’en suis sortie absolument fascinée. Rapidement, l’envie d’enregistrer sa musique s’est imposée comme une évidence: pour la faire entendre, mais aussi pour la replacer à la hauteur de ce qu’elle représente dans l’histoire musicale du XXe siècle.
Quelles sont les caractéristiques musicales de ces partitions ? Comment s'intègrent-elle dans leur époque ?
C’est une musique très personnelle, cosmopolite. Barraine a été étudiante de Paul Dukas au Conservatoire de Paris; très jeune elle a gagné le prix de Rome et a séjourné dans la capitale italienne. Sa biographie est marquée par un engagement politique courageux, en tant que résistante pendant la deuxième guerre mondiale et en tant que militante communiste. Ces aspects trouvent un écho dans sa musique, où on entend des influences tantôt d’un Hindemith ou Honegger, tantôt d’un Stravinsky; j’entends aussi des mélodies qui font songer au klezmer, en résonance avec sa culture juive. Avec cette capacité parfois déroutante de changer de caractère d’un moment à l’autre avec des “coupures” presque cinématographiques.
Actuellement, il y a un regain d'intérêt pour les compositrices. Est-ce que vous pensez que les partitions d’ Elsa Barraine ont des atouts pour s'imposer comme de futurs classiques des salles de concerts ?
Dans un premier temps, ce sont en tout cas des œuvres qui méritent d’être largement entendues!Vous remarquez le regain d’intérêt envers les compositrices du passé, c’est en effet un développement très positif. Il y a tant de bonne musique qui reste encore à être découverte et je suis convaincue que le public peut se révéler sensible à cette démarche et à l’émotion de découvrir des œuvres qui n’ont parfois jamais été jouées. C’est le cas de Pogromes de Barraine dans le disque de la WDR, pièce dont j’ai retrouvé la trace à la BNF à Paris. La formidable équipe des archives de la radio de Cologne, en collaboration avec la compositrice et chercheuse Magdalena Buchwald, ont préparé la partition et les parties d’orchestre à partir des brouillons trouvés à Paris en vue de l’enregistrement.
Dans cet enregistrement, l’orchestre symphonique de la WDR de Cologne, que vous dirigez, sonne admirablement avec une très belle clarté des timbres. Comment l’orchestre a-t-il réagi à cette musique qu’il devait découvrir à cette occasion ?
L’orchestre a accueilli cette musique avec beaucoup de curiosité et d’ouverture. Ce sont des musiciens très flexibles, et je crois qu’ils ont été sincèrement surpris par la richesse et l’intensité de ces œuvres. Nous avons travaillé sur la transparence des textures, sur la respiration des phrasés, pour que cette musique parle d’elle-même, sans surcharge.
Vous êtes également cheffe en résidence auprès de l’ensemble autrichien de musique contemporaine Klangforum. Qu’est-ce qui vous attire dans le répertoire contemporain ?
Ce que j’aime, c’est la sensation d’être en prise directe avec la création, avec un langage qui est en train de se construire. Diriger une œuvre contemporaine, c’est souvent avoir la chance de dialoguer avec le compositeur ou la compositrice, et parfois même de participer à l’élaboration finale d’une pièce. Les musiciens de Klangforum Wien sont formidables et cette collaboration me ravit.
Quels sont les compositeurs et les compositrices de notre temps qui vous touchent particulièrement ?
Il y en a tant… En ce moment, je suis particulièrement intéressée de la musique de Georges Aperghis. J’ai pu collaborer avec lui pour la création d’une œuvre pour ensemble, Hopse, et j’ai énormément d’admiration pour son travail tout en subtilité et d’une grande expressivité. Je reprends aussi le travail sur le magnifique opéra de Kaija Saariaho, Innocence, que j’avais déjà dirigé à l’opéra d’Amsterdam et que je vais reprendre dans le futur. Il s’agit à mon avis de l’une des œuvres les plus marquantes de notre siècle, et j’en conseille la découverte à ceux qui ne connaîtraient pas son travail. L’écriture vocale et orchestrale y est magistrale, au service d’un livret bouleversant.
Cet été, vous allez diriger au Festival de Lucerne un concert en hommage à Pierre Boulez. Boulez est une figure qui reste controversée et dont la musique, très caractéristique de son époque, est parfois très difficile pour des oreilles actuelles. En quoi, selon vous, la musique de Pierre Boulez mérite de rester au répertoire ?
Boulez est une figure centrale, non seulement pour la musique du XXe siècle, mais aussi pour l’évolution de la pensée musicale. Sa musique est exigeante, certes, mais elle ouvre des mondes sonores d’une incroyable subtilité et poésie…
Je me réjouis tout particulièrement des concerts à Lucerne cet été et de ce programme spécial que nous avons concocté avec l’équipe du festival et Pierre-Laurent Aimard, juxtaposant les Notations dans leur version originale pour piano seul et les versions pour orchestre; nous ferons de même avec Miroirs de Ravel et ses orchestrations.
Le site d'Elena Schwartz : http://elenaschwarz.com/
A écouter :

Elsa Barraine : Symphonies Nos. 1 & 2 ; Illustration Symphonique Pour Pogromes d'André Spire ; La Mise Au Tombeau Du Titien. WDR Sinfonieorchester Köln, direction : Elena Schwarz. CPO 555704-2
Crédits photographiques : Sarah Marshall/QSO