Symphonies de Beethoven : début contrasté d’une intégrale par l’Orchestre Symphonique de Flandre

par

Complete Symphonies vol 1. Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Symphonie no 1 en ut majeur Op. 21 ; Symphonie no 7 en la majeur Op. 92. Kristiina Poska, Orchestre symphonique de Flandre. Juillet & novembre 2020. Livret en anglais, français, néerlandais. TT 63’. Fuga Libera FUG 781

Kristiina Poska a pris la direction de la phalange flamande l’an dernier et affirme dans le livret que Beethoven sera au cœur de la programmation : « sa musique reflète tout ce en quoi nous croyons, musicalement, artistiquement, humainement ». Pour preuve ce CD que l’on nous annonce comme le premier volume d’une intégrale des neuf symphonies.

Un corpus-étalon qui permet à un orchestre de s’éprouver, et aussi de se situer, voire de montrer qu’il peut rejoindre la cour des grands, à la suite des émérites interprétations qui se sont enregistrées depuis l’intégrale pionnière de Felix Weingartner voilà un siècle. Le foisonnement de références, même dans l’esthétique « historiquement informée », n’empêche pas des coups d’éclat qui montrent que tout n’a pas été essayé et qu’on peut encore se laisser surprendre. Ainsi, récemment chroniqués dans nos colonnes, les cinq premières symphonies par Jordi Savall (Alia Vox) ou l’opus 67 enfiévré par François-Xavier Roth (Harmonia Mundi).

La découverte de cet album ne s’élèvera pas au niveau de ces révélations. Dans la Première, on apprécie la finesse du jeu, la vivacité des traits, mais les éléments du discours se succèdent sans aboutir à un véritable relief morphologique autre qu’une surface écailleuse. Et glissante. Des bribes se tuilent, le propos se lisse dans une dynamique restreinte, et surtout manque de virgules, de silences, d’agogique, de rubato… L’Andante, que la cheffe compare à un menuet, en devient presque caricatural ! Où sont le cantabile, le caractère nonchalant et néanmoins madré ? Dans une optique tout aussi cursive, on réécoutera par exemple George Szell à Cleveland, d’un tempo voisin, mais autrement animé. L’Allegro con brio réclame une certaine dramaturgie pour que ses élans ne s’éliment en un frétillement étriqué et vain. On souhaiterait davantage de caractère dans le Menuetto, nonobstant des timbales très flattées par les micros. On entend d’autant mieux le coup de baguette précéder malencontreusement l’accord introductif du Finale : non un faux départ mais la pâte orchestrale manque à ce point d’étoffe que son volume (un ff pourtant !) ne peut rivaliser avec cette ponctuation. Le mouvement avance sans satisfaire les exigences d’intensité. Même avec des formations traditionnelles et avant l’ère du HIP, des vétérans comme Carl Schuricht ou Pierre Monteux avaient montré comment une conduite nerveuse peut éviter la sécheresse, comment l’énergie peut inculquer la tension. Qui ici dépasse peu le voltage de l’allume-cigare, on le craint, malgré le zèle collectif. Peut-être aurait-il fallu que les cordes sonnent moins maigres, que les timbres nourrissent l’écoute. Hélas la captation elle-même n’est pas savoureuse et concourt à cette impression de fadeur.

Captée quatre mois avant, à l’été 2020, le Septième profite d’un paysage bien plus roboratif, tant pour la présence sonore que l’interprétation. La diction se démarque de la mécanique inexpressive que l’on déplorait dans la Première. La grammaire s’investit de sens, la trame reste claire et nervurée mais parvient mieux à se structurer en strates de signification. Le Vivace bondit avec netteté, les violons y conquièrent une autorité qui leur était refusée dans ce qu’on entendait de l’opus 21. Les bois acquièrent une pigmentation agréable et naturelle, l’harmonie vient enfin à l’appui des lignes (les cors à 8’40) et muscle l’entrain rythmique. Les lectures traditionnalistes de l’Allegretto nous ont longtemps habitués aux plantureuses arabesques que l’orchestre de Flandre, fidèle aux dogmes à la mode qui prétendent décaper le portrait de ses scories post-romantiques, trace avec pureté. Retrouvant ainsi une pudique mobilité, qui estompe toutefois les relents tragiques, au gré d’un intermezzo processionnel un peu vide d’enjeu. Le Presto est un des moments forts de cette prestation : intrépide, ombrageux (mais pas lourd), marbré de teintes lancinantes dans la section assai meno (2’16), puis fièrement cambré dans les postures hymniques. L’Allegro con brio poursuit sur cette lancée : la fougue impulsée par la maestra estonienne ménage d’ingénieuses relances, qui évitent le motorisme creux en variant la palette d’obstinations (la reprise à 1’58) : une telle sagacité se dispense de la transe asilaire (certains contemporains n’avaient-ils proclamé que c’est une musique de fous ?!) et impose une ivresse dont l’émotion n’est pas éconduite. Plutôt dans le registre cavalerie légère qu’artillerie lourde mais non moins efficace, et l’oreille ne s’en plaindra pas.

Conclusion : l’opus 21 serait à réenregistrer dans des conditions plus avenantes, et l’opus 92 marque l’enviable départ d’une intégrale qui comptera assurément dans l’histoire de l’orchestre, et peut-être dans la discographie des œuvres si elle se montre du calibre des deux derniers mouvements de la Septième, dont nous applaudissons l’intelligente exécution.

Son : 5 & 7 – Livret : 7 – Répertoire : 10 – Interprétation : 4 (op. 21) & 8,5 (op. 92)

Christophe Steyne

 

 

 

 

 

 

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