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Musique de chambre de prestige à Monte-Carlo

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Le public monégasque préfère généralement la musique symphonique à la musique de chambre, pourtant  L'affiche annonçant la venue du légendaire violoniste Gidon Kremer et du prodigieux pianiste Mikhaïl Pletnev a attiré beaucoup de monde.

Le concert débute avec la Sonate KV 304 de Mozart et l’interprétation des deux artistes permet de ressentir l'immense chagrin de Mozart lors de la composition de cette oeuvre, suite au décès de sa mère. Ce n’est pas seulement que la musique est dans une tonalité mineure, on saisit toute la solitude et l'angoisse de Mozart. Kremer la joue avec une toute petite sonorité, comme un souffle venant de l'au-delà. C'est terriblement mélancolique et poignant. Deuil et réconfort composent ce  Mozart céleste. Le génial Pletnev joue sa partie dans le même esprit et fait sonner l'immense Kawai comme un clavecin. Cette version est très différente de celle qu'on a l'habitude d'entendre.

Kaija Saariaho: l’âme en son château n’est plus

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C’est une figure fondamentale de la scène musicale contemporaine qui s’en est allée le 2 juin dernier, emportée par un cancer. 

Depuis l’annonce de son décès, la presse évoque le parcours étoilé de Kaija Saariaho en soulignant à l’envi qu’elle était l’une des compositrices les plus en vue du moment. C’est un brin réducteur, pour peu que l’on entende ainsi la cloisonner dans le cercle musical, encore relativement restreint, de la gente féminine. D’aucuns se plairont sans aucun doute à en faire la deuxième compositrice finlandaise de tous les temps, à la suite d’Ida Moberg (1859-1947), généralement considérée comme la première. D’autres encore jugeront opportun de ne la mesurer qu’à ses compatriotes masculins, tels Magnus Lindberg, Joonas Kokkonen, Einojuhani Rautavaara, Esa-Pekka Salonen, sans oublier Sibelius.

À la vérité, c’est une place au Panthéon des compositeurs des cinquante dernière années, toutes nationalités et tous genres confondus, que mérite cette immense artiste. Ni plus, ni moins. Cette place, Saariaho la doit à la fois à la maîtrise exceptionnelle de son art et au pouvoir qu’ont ses oeuvres de nous émouvoir -même si elle-même se disait, étrangement, incapable d’être émue à leur écoute. De la rencontre qu’elle nous a accordée en 2019 à Bruxelles, en compagnie de son mari, nous gardons le souvenir impérissable d’une personnalité magnétique, au regard pénétrant, d’un calme olympien, d’une culture et d’une noblesse d’esprit qui n’avaient d’égales que l’humilité et la discrétion -sans oublier, bien sûr, le talent, titanesque. 

Née à Helsinki le 14 octobre 1952, Kaija Saariaho se passionne dans son jeune âge pour la gravure, non sans déjà s’essayer au violon. Elle étudie ensuite la composition avec Paavo Heininen à l’Académie Sibelius et à la Musikhochschule avec Klaus Huber et Brian Ferneyhough à Fribourg-en-Brisgau. Moderniste dans l’âme depuis ses débuts, elle fonde, en 1977, le cercle “Korvat auki” (“Ouvrez vos oreilles”) avec Magnus Lindberg, Jouni Kaipainen, Esa-Pekka Salonen et d’autres compositeurs, musiciens et musicologues finlandais, en vue de sensibiliser ses compatriotes aux avant-gardes musicales européennes et de contrer le conservatisme ambiant de la scène musicale finlandaise de l’époque. En 1980, elle suit les cours d’été de Darmstadt. En 1982, elle s’établit à Paris, où elle fréquente régulièrement les ateliers et studios de l’Ircam, ce dont témoigne, deux ans plus tard, sa première œuvre électroacoustique, Jardin Secret I. À l’Ircam, Saariaho rencontre Jean-Baptiste Barrière, chercheur et compositeur. Il deviendra son partenaire dans la vie -affective comme artistique. 

Gidon Kremer, le voyageur musical inattendu 

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Gidon Kremer, The Warner Collection. Complete Teldec, Emi Classics & Erato Recordings.  Gidon Kremer, violon ; Martha Argerich, Andrei Gavrilov, Oleg Maisenberg, Vadim Sakharov, pianos ; Yuri Bashmet, alto ; Clemens Hagen et Mstislav Rostropovitch, violoncelles ; Berliner Philharmoniker, Chamber Orchestra of Europe, City of Birmingham Symphony Orchestra, Deutsche Kammerphilharmonie, Deutsches Symphonie-Orchester Berlin, Hallé Orchestra, Kremerata Baltica, Münchner Philharmoniker,  NDR-Sinfonieorchester Hamburg, Philharmonia Orchestra, Royal Concertgebouw Orchestra, Andrey Boreyko, Christoph Eschenbach, Nikolaus Harnoncourt, Herbert von Karajan, Roman Kofman, Riccardo Muti, Kent Nagano, Sir Simon Rattle. 1976-2006. Notice en anglais, allemand et français.  1 coffret de 22 CD Warner. Warner 0 190295 116422.        

Le Festival « Coup de cœur à Chantilly » fête anniversaire de Martha Argerich

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Le temps d’un week-end, le dôme des Grandes Écuries du Château de Chantilly se transforme en une salle de concert. Du jeudi 10 au dimanche 13 juin dernier, quatre concerts ont eu lieu autour de Martha Argerich pour fêter son 80e anniversaire. Initié par le pianiste Iddo Bar-Shai, le festival « Coup de cœur à Chantilly » est une fête de la famille. La Reine du piano est bien entourée par des amis et quelques musiciens qui font partie de sa propre famille, pour des moments intimes et conviviaux.
Le manège de forme circulaire, un chef-d’œuvre du XVIIIe siècle construit entre 1719 et 1735, aujourd’hui propriété de l’Institut de France, propose en temps habituel des spectacles et animations équestres. D’un plafond qui culmine à près de 27 mètres, la bâtisse a une acoustique assez généreuse, sans qu’il n’y ait de réverbération qui tourne infiniment au-dessus de la scène.

C’est d’abord Gidon Kremer et Evgeny Kissin qui mettent les spectateurs en appétit avec le Congratulatory Rondo pour violon et piano de Schnittke. Les deux musiciens jouent cette pièce mozartienne dans l’atmosphère d’un concert de salon chez eux. Puis, le violoniste revient en solo, avec trois Préludes de Mieczysław Weinberg (1919-1996). C’est « le » compositeur que Kremer a largement réhabilité alors qu’il était resté dans l’oubli pendant longtemps, dans l’ombre de Chostakovitch. Kremer joue dans son propre arrangement pour violon seul ces pièces écrites pour violoncelle, parsemées de fragments de chefs-d’œuvre du passé. Le son d’un violon qui ne semblait pas encore avoir été complètement accommodé au climat du lieu accentue le caractère cru de la musique.

Nouvelle génération

Ensuite, c’est au tour de la plus jeune génération d’apparaître sur la scène. David Chen Argerich (né en 2008), le petit-fils de la pianiste, et Arielle Beck (1er Grand Prix du Concours international Jeune Chopin à Martigny, en Suisse, où elle a rencontré Martha Argerich, la présidente du jury) jouent à quatre mains Valse et Slava (Gloria) des Six duos op. 11 de Rachmaninov. Puis David est avec sa mère Lyda Chen Argerich et Iddo Bar-Shai dans Romance pour six mains du même compositeur. Les deux pré-adolescents, incontestablement des pur-sang, ont un sens inné de la musique. De gestes naturels, ils savent faire sonner l’instrument, leurs phrasés n’ont aucune hésitation. Le talent de David est confirmé lorsqu’il revient avec sa grand-mère pour jouer à quatre mains un bis, Laideronnette, Impératrice des Pagodes de Ravel. Reste à savoir comment il va évoluer d’ici l’âge adulte sans être usé par le système…

Trios à clavier de Chopin et de Beethoven par Gidon Kremer et ses amis baltes

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Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Trio pour violon, violoncelle et piano en do majeur, arrangement par Carl Reinecke d’après le Triple Concerto op. 56. Frédéric Chopin (1810-1849) : Trio pour piano, violon et violoncelle en sol mineur op. 8. Gidon Kremer, violon ; Giedré Dirvanauskaité, violoncelle ; Georgijs Osokins, piano. 2019. Livret en allemand, en anglais et en français. 65.30. Accentus ACC30529. 

Kremerata Baltica à la recherche d’un Beethoven personnel et exaltant 

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Léo Ferré (1916-1993) : "Muss es sein ? Es muss sein !" (arrangé par Valter Sivilotti pour violoncelle, cordes et percussions – avec la voix de Léo Ferré) (1) – Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Quatuors à cordes N° 16, Op. 135 (2) N° 14, Op. 131 (4), arrangés pour orchestre à cordes par Gidon Kremer) – Giovanni Sollima (*1962) : Note sconte (première version pour orchestre à cordes) (3). Mario Brunello, violoncelle (1) et direction (2,3) ; Kremerata Baltica ; Gidon Kremer, violon et direction (4). 2019 (1-3) & 2011 (4). 78’39. 1 CD Alpha 660.

Guy Danel, la Biennale Chamber for Europe et Mieczysław Weinberg

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Figure majeure et infatigable animateur de la vie musicale belge, Guy Danel est l’initiateur de la biennale Chamber Music for Europe dont l’édition 2019 (du 6 au 8 décembre) est consacrée à Mieczysław Weinberg. Pour Crescendo, partenaire de la Biennale, il revient sur l’importance de Mieczysław Weinberg dans l’histoire de la musique et sur son attachement à ce compositeur.   

La biennale Chamber Music for Europe est consacrée au compositeur Mieczysław Weinberg. Je crois savoir que c’est un compositeur qui vous est cher ? 

La rencontre avec la musique de Mieczyslaw Weinberg représente sans aucun doute l’un des moments les plus marquants de ma carrière d’interprète. Celle-ci a eu lieu dans le cadre des activités du Quatuor Danel que j’ai formé en 1989 avec mon frère Marc et ma sœur Juliette.  Dès 1991, nous avions travaillé l’intégrale des quatuors de Chostakovitch, accompagnés par le Quatuor Borodine, Fiodor Droujinine et le compositeur polonais Krzysztof Meyer. À l’époque, peu de quatuors avaient ce cycle au répertoire et cela nous offrit des rencontres exceptionnelles avec des proches de Chostakovitch. 

Dès 1994, Madame Irina Chostakovitch, Valentin Berlinsky, violoncelliste du Quatuor Borodine, Alexander Raskatov, alors tout jeune compositeur installé à Heidelberg, et le très érudit musicologue belge Frans Lemaire, connu pour ses travaux sur la musique soviétique et la musique juive, nous incitèrent conjointement à travailler la musique de celui que nous appelions encore Moisey Weinberg. Nous nous sommes donc lancés dans cette aventure, recherchant des partitions auprès du Quatuor Borodine, du musicologue Manashir Yakubov ou de la famille du compositeur.

Le Festival Enescu de Bucarest : abondance et variations sur un monde en harmonie

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« The world in harmony » (le monde en harmonie) était le thème de l’édition 2019 du George Enescu International Festival, du 31 août au 22 septembre, avec pour directeur artistique le chef russe Vladimir Jurowski. Les musiciens et ensembles les plus prestigieux se sont succédé, souvent au rythme de trois ou quatre concerts par jour, dans la Sala Palatului (la grande salle de concert) ou dans le plus intime Romanian Athenaeum (Ateneul Roman), avec même des « concerts de minuit »

L’Orchestre Philharmonique de Monte Carlo se produisait sur la scène de l’Athenaeum dans la série « Recitals and chamber music », une définition peu adéquate pour les programmes présentés. Pas de problème avec la Ballade pour violon et orchestre d’Enescu ou l’Andante Cantabile et les Variations sur un Thème Rococo op 33 pour violoncelle op. 33 de Tchaikovsky. Mais il est plus difficile de rangefr la Symphonie pathétique de Tchaikovsky dans cette catégorie ! La scène de l’Athenaeum peut à peine accueillir tous les musiciens de  l’Orchestre et le son ne peut pas vraiment se déployer. C’est aussi le cas pour le deuxième concert de l’orchestre qui accompagne un programme élaboré autour de Bryn Terfel avec, entre autres, le prélude à l’acte 3 de Lohengrin et la Chevauchée des Walkyries de Richard Wagner.