The Tallis Scholars dans Josquin: la perfection est de ce monde
Josquin des Prés (vers 1440-1521) : Missa Gaudeamus, Missa L’ami Baudichon. The Tallis Scholars/Peter Philips (direction). 2018-DDD-66’48 -Textes de présentation en anglais, allemand et français - Gimell 479 7545 CDGIM 050
Entamée depuis de nombreuses années maintenant, l’ambitieuse intégrale des Messes de Josquin par le chef Peter Phillips à la tête des Tallis Scholars en arrive à son onzième volume. Une fois de plus, l’émerveillement est double : d’abord, par rapport à la qualité exceptionnelle de la musique et, ensuite, pour ce qui est de l’interprétation qui est du plus haut niveau.
C’est d’abord à ceux -si nombreux aujourd’hui- qui apprécient la musique vocale d’un Pärt ou d’un Górecki et qui ne connaîtraient pas encore les merveilles de la polyphonie de la Renaissance (domaine qui a heureusement cessé d’être la chasse gardée de musicologues et de mélomanes pointus depuis maintenant plusieurs décennies) qu’on conseillera la découverte de cette musique dont la perfection justifie la flatteuse réputation de celui que Luther déjà appelait « der Notenmeister », le maître des notes.
Comme souvent dans les messes de l’époque, le compositeur a tiré son inspiration d’une musique préexistante. Pour la Missa Gaudeamus qui ouvre l’enregistrement, il s’agit d’une ample mélodie grégorienne qui ici, précède la messe proprement dite. Composée vers le milieu de la carrière du musicien franco-flamand, elle le trouve à son sommet. La maîtrise technique de Josquin est ici renversante, mais les complications et subtilités de cette imposante partition ne seraient bien sûr que sèche démonstration si la musique n’était d’une telle beauté.
Oeuvre du début de la carrière du compositeur, la Missa L’ami Baudichon est d’une écriture beaucoup plus simple mais pas moins belle. La musique qui sert de point de départ à l’oeuvre est ici une chanson légèrement paillarde que (par pudeur?) les interprètes ne nous donnent pas à entendre avant la Messe. Par rapport à la profusion de complications de la première oeuvre, l’écriture de cette oeuvre de jeunesse est beaucoup plus simple mais pas moins belle.
Pour ce qui est de l’interprétation, on ne peut que rendre les armes devant la compréhension qu’a le chef de ce répertoire et la virtuosité sans faille des Tallis Scholars dont l’intonation irréprochable, l’équilibre parfait des voix, la finesse du phrasé et la beauté vocale quasi surnaturelle sont une perpétuelle source d’émerveillement.
Cependant, on en arrive parfois à se demander -même si nous ne pouvons savoir à quoi pouvait bien ressembler sur le plan de la sonorité une exécution de polyphonie sacrée dans le Hainaut, la Flandre ou le Nord de l’Italie à l’époque- si une approche vocale aussi extraordinairement égale et raffinée était vraiment ce qu’avait à l’esprit Josquin, et si ce à quoi il aurait pu s’attendre ne ressemblait peut-être pas d’avantage à l’approche plus charnue de formations telles que Capilla Flamenca ou Graindelavoix. Reste que ces considérations n’enlèvent absolument aux mérites de ces remarquables interprétations.
Son 10 - Livret 10 - Répertoire 10 - Interprétation 10
Patrice Lieberman