The Turn of the Screw de Benjamin Britten à La Monnaie

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Objectif atteint ! Dans une de ses interviews, Andrea Breth, la metteure en scène, précisait que ce qu’elle espère, c’est que le public, à la fin d’une de ses productions, ne s’interroge pas immédiatement sur l’encombrement du parking et le temps nécessaire pour en sortir ou sur le choix d’une boisson bienvenue en conclusion de soirée. Non, pour elle, il s’agit de faire en sorte que la représentation se poursuive en chacun de ses spectateurs, qu’elle laisse ouvertes toute une série de questions, qu’elle déclenche des émotions et des sentiments persistants. C’est ce qu’elle réussit avec sa lecture du Turn of the Screw de Benjamin Britten.

Mais il faut le souligner, c’est d’abord Britten qui suscite pareille perpétuation avec son opéra vertigineux. Grâce au livret de Myfanwy Piper, inspiré par le roman éponyme d’Henry James. Une gouvernante (ainsi la nomme-t-on, sans autre précision) est engagée pour s’occuper de deux jeunes enfants, Miles et Flora. Engagée par un mystérieux « commanditaire » : jamais, elle ne pourra le contacter. Mais très vite, ce qu’elle découvre provoque sa perplexité, son inquiétude. Il s’est passé quelque chose là-bas. L’ancien domestique, Peter Quint, est mort. Miss Jessel, l’ancienne gouvernante, est morte elle aussi. Ils réapparaissent, fantomatiques. Quelle a été la relation de Miles avec Quint, quelle est-elle aujourd’hui ? La fin est tragique. Tout cela n’est-il que le fruit de l’imagination de la gouvernante ? De quelles turpitudes les lieux ont-ils été le cadre ? 

La musique de Britten est à l’aune du récit. Un simple orchestre de chambre la déploie. Elle aussi est riche en mystère, en évocations, dans ses ensembles, dans ses mises en évidence d’un instrument significatif, violoncelle, harpe, cor anglais, percussions. Antonio Méndez et les musiciens de l’Orchestre de Chambre de La Monnaie lui confèrent tout son pouvoir d’exacerbation des événements et des atmosphères.

Quant à Andrea Breth, elle confronte le public à un univers visuel (décor de Raimund Orfeo Voigt et lumières d’Alexander Koppelmann) qui est l’expression d’un univers mental perturbé, d’une réalité déformée, un univers exactement fantastique. La scénographie est la concrétisation des mots de la Gouvernante : « Perdue dans mon labyrinthe, je ne vois plus la vérité » !

Quelle magnifique proposition que celle de ces panneaux dont les mouvements créent des espaces multiples, en labyrinthe justement, où les personnages se perdent, où nous nous perdons ; des lieux en perspective, en profondeur de champ, avec des individus tous semblables qui passent, repassent et disparaissent. Il y a aussi les garde-robes surdimensionnées. Il y a encore ces pianos écroulés. Oui, le réel dérape, oui, nous basculons dans ce que l’on appelle le fantastique.

Sally Matthews est la Gouvernante hantée, « perdue dans son labyrinthe » ; Carole Wilson, Mrs Grose, une intendante témoin d’intenses et dramatiques faits que ses perceptions « raisonnables » ne comprennent pas ; Julian Hubbard-Peter Quint et Allison Cook-Miss Jessel manifestent à la fois le mystère, la menace et l’exaspération de leurs apparitions. Katharina Bierweiler est Flora. Quant au jeune Miles, il est incarné par Samuel Brasseur Kulk et Noah Vanmeerhaeghe, deux membres des Chœurs d’enfants et de jeunes de La Monnaie -ils ont l’âge de leur personnage ; ils nous touchent et nous émeuvent par leur jeunesse talentueuse. Ed Lyon installe cette histoire terrible : il en est le Prologue.

Oui, Andrea Breth, cette fois encore, comme en de multiples autres occasions, réussit à nous interpeller -en toute démesure mesurée, sans provocation inutile ni esbrouffe. Dans une transcription scénique pertinente de l’univers de Benjamin Britten.

Bruxelles, La Monnaie, le 8 mai 2024

Crédits photographiques : Monika Rittershaus

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