Toute la carrière de critique musical d’Hector Berlioz est disponible

par

Hector Berlioz : Critique musicale. Volume 10 : 1860-1863. Sous la direction d’Anne Bongrain et Marie-Hélène Coudroy-Saghaï. Paris, Société française de Musicologie. ISBN 978-2-85357-268-2. 2020, 651 p., 45 euros.

 

Hector Berlioz a été un compositeur de génie, mais aussi un critique à la plume alerte, qui pouvait se révéler positive mais aussi sévère. Chez lui, les deux aspects musique et littérature sont complémentaires, un peu à la manière, toutes proportions gardées, d’Eugène Delacroix dans le domaine pictural. On connaissait déjà son impressionnante Correspondance générale, ses Mémoires, ses Soirées de l’orchestre, ses Grotesques de la musique ou son ouvrage A travers chants. On peut désormais aborder la totalité de sa longue carrière de critique musical (une quarantaine d’années) grâce au dernier volume de la série entamée en 1996 chez Buchet-Chastel. Après six tomes, la Société française de musicologie a repris le flambeau à partir de 2014 pour mener à bien cette gigantesque entreprise désormais accessible dans son entièreté. L’événement est de taille !

On couvre ici les années 1860 à 1863. Berlioz aura bientôt soixante ans. Il a composé Les Troyens entre 1856 et 1858 ; il en entendra la seconde partie à Paris, au Théâtre-Lyrique, le 4 novembre 1863. Un an auparavant, il a le plaisir de créer, lui-même étant à la direction, Béatrice et Bénédict au Theater der Stadt de Baden-Baden, le 9 août 1862. Cette même année, il publie A travers chants, déjà cité, avec des articles qui font partie du présent volume, comme les concerts de Wagner, les séances consacrées au Fidelio de Beethoven ou à l’Alceste de Gluck, et l’un ou l’autre texte plus anecdotique. Ce tome 10 s’ouvre par le commentaire des moments wagnériens au Théâtre-Italien, qui ont lieu fin janvier et début février 1860 : […] son programme, dépourvu des sucreries qui allèchent les enfants de tout âge dans les festins musicaux, n’en a pas moins été écouté avec une attention constante et un très vif intérêt, écrit Berlioz. On laissera au futur lecteur le plaisir de la découverte de l’analyse de l’ouverture du Vaisseau fantôme, d’extraits choisis de Tannhäuser qui font l’objet de divergences, ainsi que de fragments de Lohengrin dont l’introduction est considérée comme un chef-d’œuvre. Par contre, un morceau de Tristan et Iseut laisse perplexe le compositeur de la Fantastique. Ces considérations entraînent Berlioz, qui se déclare sincère en reconnaissant les grandes qualités musicales de Wagner, à examiner de près les théories de ce dernier en termes d’« école de l’avenir ». Ces pages des plus intéressantes sont bien écrites, comme toujours, car la plume est vivante et d’un réel intérêt littéraire, elle incite à poursuivre en profondeur l’exploration des textes qui suivent.

Parus en leur temps dans le Journal des débats, les articles abordent des œuvres lyriques vues par Berlioz dans divers lieux : Théâtre de l’Opéra-Comique, Théâtre-Lyrique, Théâtre de l’Opéra, Théâtre de Marseille… Des productions d’Ambroise Thomas, Gounod, Hérold, Halévy, Boieldieu, Méhul ou Donizetti, mais aussi de compositeurs bien oubliés de nos jours (Louis Caspers, Joseph Poniatowski, Auguste Morel…) sont présentées, de façon courte ou développée, souvent avec une bienveillance confraternelle qui n’exclut pas la lucidité. Au détour des pages, on découvre une représentation donnée par Pauline Viardot, acclamée, applaudie, redemandée avec transport, un concert de Léon Kreutzer ou de Félicien David, l’une ou l’autre présentation de publications ou d’autres événements de la vie musicale. Mais aussi une violente attaque contre Offenbach et son Barkouf donné à l’Opéra-Comique en janvier 1861, Berlioz n’hésitant pas à affirmer que le public n’acceptera jamais qu’on lui agace les dents et le système nerveux par des discordances.

Berlioz n’est pas toujours tendre avec les interprètes, il n’hésite pas à se gausser des défaillances des ténors. Scrupuleux quant à l’authenticité des œuvres, il n’aime pas que l’on arrange Mozart, et encore moins Gluck qu’il place au sommet et que l’on retrouve fréquemment sous sa plume, notamment à travers son Alceste. On s’attardera à ses avis opportuns sur le Fidelio de Beethoven auquel il assiste en mai 1860 et dont il souligne les beautés vocales et instrumentales, sans négliger les défauts de la représentation. Berlioz apparaît comme fondamentalement honnête dans ses jugements. Lorsqu’il évoque Les Pêcheurs de perles de Bizet, il reconnaît que la partition contient un nombre considérable de beaux morceaux expressifs pleins de feu et d’un riche coloris. Ce sera son dernier article pour le Journal des débats, le 8 octobre 1863. Le prestigieux critique laisse à la postérité un trésor d’écriture dont nous n’avons fait qu’effleurer quelques pistes parmi tant d’autres.

Le moment est venu de saluer l’accomplissement de cette somme éditoriale, sa richesse et sa diversité, mais aussi ceux qui, disparus ou encore actifs, en ont assuré la réalisation depuis les origines, la finalité en revenant ici à Anne Bongrain, de la Sorbonne, et à Marie-Hélène Coudroy-Saghaï, du Conservatoire de Paris. Cette vaste édition critique est exemplaire et enrichit considérablement notre connaissance de Berlioz et de tout le fourmillement du milieu musical de son temps. Complété par de précieuses notes de bas de pages, un sommaire détaillé des articles qui facilitent la recherche et l’accès aux centres d’intérêt, un index des noms et un index des œuvres, ce volume ultime couronne un travail d’un niveau exceptionnel qui fera le bonheur des spécialistes comme des amoureux de Berlioz.

Jean Lacroix

 

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.