Trompette et piano à l’honneur d’un programme de concertos modernes

par

Dimitri Chostakovitch (1906-1975) : Concerto pour piano, trompette et orchestre à cordes en ut mineur Op. 35. Mieczysław Weinberg (1919-1996) : Concerto pour trompette et orchestre en si bémol majeur Op. 94. André Jolivet (1905-1974) : Concertino pour trompette, orchestre à cordes et piano. Selina Ott, trompette. Maria Radutu, piano. Dirk Kaftan, Orchestre symphonique de la Radio de Vienne. Novembre 2020. Livret en anglais et allemand. TT 60’44. Orfeo C220011

À l’âge de vingt ans, Selina Ott fut la première femme à remporter dans la catégorie « trompette » le premier prix du prestigieux concours allemand ARD. Nantie de ces lauriers, elle réalisa en octobre 2020 un premier album concertant avec Roberto Paternostro (Alexander Arutiunian, Vladimir Peskin, Alfred Desenclos), et concomitamment un duo avec la pianiste En-Chia Lin (Arthur Honegger, Heinrich Sutermeister, Sergueï Wassilenko, Reinhold Glière, et encore Incantation, Thrène et Danse de Desenclos). Ce qui en dit long sur ses affinités avec le répertoire moderne. Elle les illustre encore avec ce nouveau disque, également sous étiquette Orfeo, consacré à des partitions écrites au milieu du siècle précédent. 

Trois concertos au menu. Celui de Chostakovitch (1933) semblera le mieux connu. Il valorise principalement le piano et inclut une trompette ; c’est l’inverse pour le Concertino (1948) de son quasi-contemporain André Jolivet, qui jouit autant d’une enviable discographie : Pierre Thibaud & Marius Constant (Deutsche Grammophon, 1973), Wynton Marsalis & Esa-Pekka Salonen (CBS, 1986), Jouko Harjanne & Juhani Lamminmäki (Finlandia, 1990), Sergei Nakariakov & Jesús López-Cobos (Teldec, 1993), Reinhold Friedrich & Thomas Duis (Capriccio, 1997), Ole Edvard Antonsen & Lan Shui (BIS, 2010), Romain Leleu & Roberto Forés Veses (Aparté, 2014) pour citer les principales références, sans oublier les historiques gravures de Roger Delmotte & Ernest Bour (Ducretet, Grand Prix du Disque de l’année 1954) et Maurice André (Erato, 1964) respectivement sous la supervision et sous la direction du compositeur. Face à ces témoignages, l’interprétation de la jeune soliste resserre l’énergie rythmique de l’Allegro mais y semble un peu crispée, négligeant peut-être que ce brio doit s’allier une certaine malice, que l’accompagnement compact tend à asphyxier.

Dans l’opus 35 de l’auteur du Nez, la pianiste roumano-autrichienne fait une entrée discrète et son jeu n’endosse pas l’ampleur et la densité attendues, malgré sa précision. La causticité s’édulcore, et la trompettiste ne saurait rivaliser avec l’astringent métal de l’école russe (on pense bien sûr à Sergueï Popov, avec Maria Grinberg chez Melodiya) ou française (Ludovic Vaillant, avec le compositeur au clavier, dirigé par André Cluytens chez Emi). Sous les doigts de cette artiste qui nous offrit un CD baptisé Insomnia (Decca, 2016), le Lento s’assoupit et parvient mal à capturer les ambiances douces-amères qu’affermissaient ces deux enregistrements cardinaux. Les violons sont trop mouchés dans le Finale, qui sous la baguette de Dirk Kaftan s’enferre dans une sèche raideur, même si la projection collective atteint sa cible grâce à la scansion nettement découpée par les contrebasses.

Le concerto de Weinberg (1967) rencontre une moindre concurrence discographique, comptant toutefois d’émérites contributions chez les labels Russian Disc, Neos, Naxos, et même un DVD avec Håkan Hardenberger et Andris Nelsons filmé au Gewandhaus de Leipzig en décembre 2019 (Accentus Music). Dans ces Études que domine la trompette dès l’introduction, les étincelles, les éclaboussures de l’orchestre nécessitent un étroit contrôle. Les acrobaties cessent pour une accalmie centrale coiffée par la sourdine, et qui précède le retour de cette acerbe musique de saltimbanque. Épisodes, cœur de l’œuvre, s’initie par un véhément choral de cordes : un décor grandiose et funèbre, où vient errer la trompette qui a profité d’un répit durant cet exorde. Cet amer cérémonial, dont les roulements de caisse claire signent les relents martiaux, établit la flûte comme un partenaire privilégié. Le Finale s’enchaine sans interruption. Son titre Fanfares lui permet d’inviter quelques célèbres allusions (Marche nuptiale de Mendelssohn, Tsar Saltan et Le Coq d’or de Rimsky-Korsakov, Petrouchka de Stravinsky) au sein d’un discours dépenaillé et parodique, notamment des interjections de percussion. Qui s’attendrait à un morceau échevelé et clinquant qui fasse contrepoids aux éreintantes Études sera surpris par ces cinq minutes truffées d’humour : un théâtre de spectres narquois surgis du cimetière que l’on devinait dans le mouvement central. Hélas, la prestation de Selina Ott et de l’orchestre autrichien ne paraît pas pénétrer au plus profond de ces atmosphères, qu’elle cadenasse dans une cérébralité qui confine parfois à l’exsangue. La transcription d’une Romance du jeune Rachmaninov complète ce programme cohérent et ambitieux mais dont l’exécution ne convainc pas pleinement, malgré une sensibilité et une virtuosité qui n’ont rien à se reprocher. D’autant que la captation pauvre en oxygène contribue à priver l’auditeur de l’envergure espérée.

Son : 7,5 – Livret : 8,5 – Répertoire : 8-9 – Interprétation : 7,5

Christophe Steyne

 

 

 

 

 

 

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