Un écheveau de métissages autour de chants et danses de Transylvanie

par

Il Transilvano, ponts musicaux entre Italie et Hongrie autour de 1600. Ensemble Prisma : Elisabeth Champollion, flûte à bec et kaval ; Franciska Hadju, violon et voix ; Dávid Budai, basse de violon et alto ; Alon Sariel, archiluth et mandoline. Gábor Juhász, contrebasse et théorbe. Mars 2020. Livret en anglais, français. Paroles des chants en langue originale et traduction bilingue. TT 57’55. Ambronay Éditions AMY312

Des tournées en Europe de l’Est, l’intégration au programme Eeemerging+ (une pépinière qui promeut les jeunes ensembles européens de musique ancienne et développe la mobilité des artistes), la composition de l’équipe (des membres hongrois, israéliens, franco-allemands) fertilisée par l’attrait pour le Baroque italien : voilà qui justifie ce programme intitulé Il Transilvano, du nom d’un recueil que l’organiste Girolamo Diruta (Venise 1593) dédia au Prince Sigismund Báthory. Ce recueil inspire le premier morceau, écrit par Dávid Budai. Les autres piochent notamment dans le Codex Caioni compilé par János Kájoni (1629-1687), dissimulé pendant la Seconde Guerre mondiale et redécouvert en 1988. Cet évêque de Transylvanie, érudit et humaniste, y avait assemblé une large collection de musique, populaire autant que savante (Monteverdi, Schütz…) qu’un CD du label Arion avait déjà exploité en 2008. Les rencontres avec des musiciens folkloriques, sur le terrain, ont aussi enrichi le giron et la pratique de Prisma.

Le programme inclut un rare unico, la sonate La Romana d’Orazio Tarditi. Aussi des pages instrumentales : Sarabanda Gesneri, dérivée de la danse courtoise ; diminutions sur La Monica de Biagio Marini ; une improvisation d’Elisabeth Champollion sur une flûte moldave. Intrada et Ungarescha Suite du Codex Caioni. On trouve aussi un trépidant Pontozó du violoniste Ferenc Kulcsár (né en 1920), dont l’on peut retrouver l’art dans un double album capté en 1993 chez Hagyományok Háza. Le Ballo Ongaro et la Paduana ditta La Ongara de Giovanni Picchi révèlent l’influence hongroise sur ce compositeur vénitien ; elles sont librement ornementées, et prolongées par une Gaillarde imaginée par Dávid Budai, sur le même cadre harmonique.

Franciska Hadju est la principale contributrice aux pièces vocales : la chanson Magos kösziklának, la ballade Angoli Borbála, des couplets d’étudiants de la Renaissance (Elment a két lány virgot szedni), le poème Bocsásd meg Uristen de Bálint Balassi (1554-1594), à plusieurs voix… Le timbre n’habille pas toujours la mélodie des plus séduisants atours, toutefois le disque se referme sur des rondes et danses de couple qui profitent de son archet idiomatique, et de la fougue de Gábor Juhász pour l’énergie rythmique.

Au-delà de son intention assez claire (montrer les passerelles entre Italie et Hongrie), Prisma s’est aventuré dans un exercice difficile à animer, celui de donner à chaque genre, chaque strate, sa crédibilité. Croire en son projet, lui prodiguer tous les soins, suffit-il ? Le résultat est fignolé, ciselé (l’excellent Alon Sariel aux cordes pincées). On en ressort convaincu, même si l’on suspecte qu’un tel programme se trouve bridé par le studio et acquiert une autre vitalité en concert. Entre les subtiles pièces courtoises et les danseries endiablées qui requièrent violoneux de terroir voire la fougue d’un taraf, il y a un monde. Certains morceaux émanent d’une époque dont on a perdu le sens et qui invitent une quête d’authenticité. D’autres sont transmis vivants par les siècles et en constituent l’héritage actualisé. Ainsi ce parcours ne jette pas seulement un pont entre Italie et Transylvanie, mais aussi enjambe et métisse les styles de la musique ancienne et du répertoire traditionnel. En cela la prestation réussit à dégager une improbable unité de ton et d’esprit dont on peut apprécier la cohésion interprétative. Sans doute car Prisma s‘est approprié toutes ces musiques qu’il aime, et les considère sans ornière ni clivage. Derrière la variété de la récolte, rechercher le fonds commun ? « Dans la forêt, quand les branches se querellent, les racines s'embrassent » dit un proverbe africain.

Son : 8 – Livret : 9 – Répertoire & Interprétation : 7,5

Christophe Steyne

 

 

 

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