Un faisceau de détails savoureux : les Noces de Figaro à Nancy

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Avant même qu’elle ne soit représentée, ce qui a d’abord retenu l’attention sur cette production, c’est l’identité de son metteur en scène : James Gray. Avant tout cinéaste reconnu, récompensé immédiatement en 1994 pour son premier film, Little Odessa, salué en 2013 pour The Immigrant, et tout récemment pour Ad Astra avec Brad Pitt. A Nancy, après le Théâtre des Champs-Elysées et avant Luxembourg, il était bien loin, spatio-temporellement, de l’univers de science-fiction de ce dernier film, tout en s’étant lancé un grand défi « spatial » : mettre en scène un opéra, Les Noces de Figaro, une première expérience.

Pari gagnant ! Rien de conceptuel dans son approche. Aucune « révélation » de sous-jacences historico-socio-psychologico-politiques jusqu’à lui ignorées dans l’œuvre de Mozart. Il s’en tient aux mots du librettiste et aux notes du compositeur. Même pas de vidéo chez ce cinéaste ! Rien ne vient distraire notre adhésion immédiate aux péripéties d’une intrigue exaltée par des chants superbes. Il est vrai qu’en procédant ainsi, il nous laisse libres, sans les solliciter, sans les imposer, de nos conclusions quant aux façons de procéder des « puissants » de ce monde-là, qui, humainement hélas, sont encore trop souvent les nôtres, dans leurs abus sexuels et de pouvoir. 

Les décors de Santo Loquasto et les costumes somptueux de Christian Lacroix ont leur rôle dramaturgique dans une mise en scène qui se caractérise notamment par la fluidité de ses enchaînements et le rythme qu’elle génère. Surtout, James Gray a l’art de ces petits détails qui révèlent un caractère ou sont significatifs d’une situation : la manière dont le Comte retire la main quand les paysans viennent le saluer deviendra celle de la Comtesse quand il tentera d’obtenir son pardon ; Figaro rampe, « caché » par un banc et le poussant pour épier sa Suzanne qu’il croit infidèle ; la poussière s’élève « en nuage » sur les rampes et les meubles du château ; le piano-fortiste, en costume d’époque, écrit à la plume la partition en cours. Savoureux faisceau.

Andréas Spering, à la tête de l’Orchestre de l’Opéra National de Lorraine, manifeste la même fluidité dans sa direction : il « joue » la partition, lui garantissant ainsi sa part espiègle autant que ses développements plus dramatiques. 

Les interprètes, ainsi stimulés, ne sont pas en reste : Mikhail Timoshenko est celui qui incarne le mieux l’esprit de l’entreprise. Son Figaro, une prise de rôle, exprime la même prestesse, la même souplesse dans le corps que dans la voix. Quelle aisance. La Suzanne de Lilian Farahani a la même présence, mais augmentée d’une certaine impertinence, davantage deuxième degré que ne possède sans doute pas son impétueux amoureux, si habile soit-il. Les autres, Huw Montague Rendall-Almaviva, Adriana Gonzales-la Comtesse, Giuseppina Bridelli-Cherubino, Marie Lenormand-Marcellina, Ugo Guagliardo-Bartolo, Gregory Bonfatti-Basilio, Elisabeth Boudreault-Barbarina et Arnaud Richard-Antonio réussissent eux aussi cette belle combinaison de l’intensité du chant et du plaisir du jeu.

On a donc ri, on a donc été ému par un Mozart modestement et exactement servi.

Nancy, Opéra de Nancy-Lorraine, le 4 février 2020

Stéphane Gilbart

Crédits photographiques : C2 Images pour Opéra national de Lorraine

 

 

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