Un lisztien chevronné, Titien Collard
Franz Liszt (1811-1886) : Bénédiction de Dieu dans la solitude (n.3 des Harmonies poétiques et religieuses S. 173) ; Sonate en si mineur S. 178 ; Consolations S. 172. Titien Collard, piano. 2023. Notice en français et en anglais. 71’37. Indesens Calliope Records. IC057
De nos jours, les jeunes pianistes sont légion. Mais l’on découvre parfois un talent hors du commun qui est au seuil d’une carrière prometteuse. Tel est le cas de Titien Collard, jeune trentenaire issu d’une famille de musiciens puisqu’il est le neveu de Jean-Philippe Collard. Abordant l’étude du piano à l’âge de 11 ans, il poursuit sa formation à la Schola Cantorum, au CCR de Boulogne-Billancourt et à la Haute Ecole de Musique de Genève où il se perfectionne auprès de Cédric Pescia et de Marc Pantillon.
Son premier enregistrement réalisé du 23 au 26 octobre 2023 sur le piano OPUS 102 de Stephen Paulello dans ses studios de l’Yonne est entièrement consacré à Franz Liszt. Et ce choix de répertoire correspond à celui de ce piano, instrument de toute démesure par sa puissance, ses registres parfaitement définis et par la multitude des timbres.
L’on s’en rend compte d’emblée avec la monumentale Sonate en si mineur, véritable charte du romantisme musical datant des années 1852-1853. D’exécution redoutable, cette œuvre d’un seul tenant qui fait exploser la forme canonique en trois ou quatre mouvements est, selon les dires du jeune artiste, celle qu’il a le plus jouée en l’espace de dix ans. Il en aborde le Lento assai avec une sonorité magnifique dans le grave que rend percutante l’Allegro energico avec un aigu clinquant que finira par étoffer le martellato méphistophélique des basses. Le brassage des thèmes tient du combat des forces antagonistes enchaînant remarquablement le déferlement des octaves jusqu’à un Grandioso en forme de choral. Le cantando espressivo d’une rare fluidité débouche sur une cadenza accumulant d’étincelants passaggi que pulvérisera le développement en une implacable progression soutenue par une maestria technique notoire. Par contraste, le Recitativo cultive d’étranges inflexions qui nimberont ensuite l’Andante sostenuto à fleur de clavier où le temps suspend son vol.
Le fugato fait valoir la précision du trait permettant d’équilibrer les voix jusqu’à un stringendo qui semble en découler naturellement, avant de parvenir à une Stretta quasi Presto hallucinée et conclure par un Lento assai étirant quelques accords blafards jusqu’à un si grave à peine murmuré.
Sur ce CD, la Sonate en si mineur est précédée par Bénédiction de Dieu dans la solitude, troisième des Harmonies poétiques et religieuses datant des années 1845 à 1847. Dans une sonorité beaucoup plus unie, Titien Collard développe en un solennel lento le cantabile de la main gauche qu’il irise du double contrepoint en croches de la droite, confiné à un léger bruissement en dépit de la difficulté d’exécution. Un rubato subtil sous-tend la ligne mélodique jusqu’à la première cadenza égrenant legatissimo quartes et quintes avant d’étaler les arpèges plats ornementant la progression. L’Andante médian tient du recueillement volontairement incolore, tandis que le Più sostenuto quasi Preludio laisse soudre des élans de ferveur s’amplifiant en une houle effervescente afin de parvenir à un paroxysme aux accords martelés. Mais tout se résorbera en un Andante rasséréné au lyrisme consolateur.
Par le recueil des Six Consolations datant des années 1849-1850 s’achève ce programme exigeant. Dans la sonorité feutrée qui enveloppait Bénédiction de Dieu dans la solitude, Titien Collard prête à l’Andante con moto initial une sobriété méditative que dynamisera la deuxième (Un poco più mosso) par la fluidité de son cantabile. La troisième, Lento placido, la plus célèbre du cahier, n’est que mouvance presque incolore de la main gauche soutenant les arpèges irisant la droite qui finissent par se diluer en une cadenza frôlant l’imperceptible. La quatrième, Quasi Adagio, renoue avec le côté intimiste de la première, ponctuée par de solennelles octaves s’éloignant dans la brume, alors que la cinquième, Andantino, est nourrie d’affectueux élans, rarement perçus par d’autres interprètes, quand la sixième, Allegretto sempre cantabile, noie sa faiblesse d’inspiration sous de suaves envolées.
En résumé, une indéniable réussite pour un premier disque.
Son : 8 Notice : 6 Répertoire : 8 Interprétation : 9