Un hommage enthousiaste des Tchalik à Boris Tishchenko

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Boris Tishchenko (1939-2010) : Quatuors à cordes n° 1 op. 8 et n° 5 op. 90 ; Quintette pour quatuor à cordes et piano op. 93. Quatuor Tchalik ; Dania Tchalik, piano. 2022. Notice en français, en anglais et en allemand. 58.47. Alkonost ALK008.

La fratrie franco-russe Tchalik a eu l’occasion de rencontrer Boris Tishchenko en 2009, et de jouer en sa présence lorsque ce dernier est venu en France pour la seule et unique fois, un an avant sa disparition. Six ans plus tard, Gabriel et Dania Tchalik enregistraient son œuvre pour violon et piano (Alkonost). Aujourd’hui, le quatuor familial (les violonistes Gabriel et Louis, l’altiste Sarah et le violoncelliste Marc) rend un hommage à ce compositeur né à Leningrad, qui a été l’élève de Galina Ustvolskaya et de Vasim Salmanov avant de travailler pendant trois ans avec Chostakovitch au début de la décennie 1960. Il a laissé une œuvre abondante oscillant entre le néo-classicisme et le postromantisme, ainsi que le précise Frans C. Lemaire dans Le destin russe et la musique (Fayard, 2005) qui ajoute que tout en explorant des courants nouveaux, dodécaphonie sérielle comprise, Tishchenko a toujours considéré l’expression comme essentielle et est demeuré foncièrement fidèle à l’esprit, sinon à l’esthétique de Chostakovitch. Ses huit symphonies, dont un cycle consacré à Dante, sont d’une remarquable densité, comme le sont également ses concertos, son opéra Le Soleil volé, sa musique vocale ou sa musique de chambre qui nous occupe ici. 

Les Tchalik nous avaient séduit dans d’excellents programmes consacrés à Reynaldo Hahn (24 décembre 2020) puis à Camille Saint-Saëns (28 octobre 2021), déjà pour le label Alkonost ; ils y faisaient étalage d’un enthousiasme communicatif, mais aussi d’une homogénéité et d’un engagement sans faille. Le présent programme présente les mêmes caractéristiques. La notice, enrichie par de superbes reproductions de tableaux contemporains du peintre non conformiste Vladimir Yankilevsky (1938-2018), propose deux intéressants textes signés par le musicologue russe Iossif Raïskin et traduits par Anne Tchalik. Il y est rappelé que Tishchenko s’opposa avec courage à l’idéologie totalitaire, n’hésitant pas à utiliser des poèmes d’Anna Akhmatova dont il mit le Requiem en musique en 1966. Les Tchalik nous entraînent dans l’univers de sa musique de chambre qui se révèle passionnant ; la notice en détaille avec force précisions le contenu et l’ambition, et souligne ce que Raïskin considère comme le trait distinctif de la musique de Tishchenko : « au-delà de l’exposition de thèmes expressifs et plaisants, la capacité à produire, à partir de « graines » mélodiques semées, une symphonie, un quatuor, un tout. » 

Le musicologue explicite longuement la portée de l’opus 90 de 1984 aux belles dimensions (un peu plus de trente minutes), dont l’inspiration est familiale (la femme du compositeur Irina Donskaia était harpiste). Raïskin a raison de dire que, dans ce Quatuor n° 5, on pense à Haydn, voire à Schubert, pour la spontanéité et la fraîcheur qui parcourent le premier mouvement, la légèreté de l’Allegro dolce central, ou le mystère de l’Allegro con molto. Ce qui n’empêche pas le compositeur de suggérer des tendances à l’atonalité, des effets de danses, des frottements harmoniques ou des espiègleries qui sont, dans le mouvement final, une évocation du petit Andreï, le fils de Tishchenko. Tout cela chante au sein de moments répétitifs qui n’évitent ni la scansion ni les brisures de rythmes, tout en installant des phases émotionnelles, voire dramatiques.

Avant ce cinquième quatuor, c’est le n° 1 de 1957, œuvre concise (un peu plus de dix minutes) d’un créateur de moins de vingt ans, qui est à l’affiche : il est construit avec un scherzo (Allegro giocoso) encadré de deux mouvements lents. Page de jeunesse, sans doute en phase de recherche stylistique personnelle, mais dont le Lento final indique une expressivité déjà bien ancrée. Le programme est complété par le Quintette pour quatuor et piano de 1985, pour lequel Dania, l’aîné des Tchalik, vient se joindre à la famille, comme cela avait été le cas dans l’album consacré à Reynaldo Hahn pour son Quintette en fa dièse mineur. On soulignera la dimension symphonique de cette partition en un seul mouvement, un Allegro molto au cours duquel le piano se taille la part du lion, avec un rôle concertant prononcé. Cette page entraînante est rythmée par des effets percussifs qui englobent le tutti des cordes au sein de flux pianistiques perlés, avant un retour à une phase où le classicisme s’invite pour se perdre peu à peu dans le mystère d’un silence troublant.

Dans ce répertoire que l’on découvre avec un vif intérêt, les Tchalik font preuve d’un engagement qui ne se dément jamais. Précision instrumentale, sens du rythme, tension homogène, investissement sonore, clarté du propos garantissent une approche fidèle et circonstanciée. Nous proposeront-ils l’intégrale des quatuors comme les Taneïev l’avaient fait pour Northern Flowers en 2018 ? Ce serait un bel hommage rendu par ces passionnés à Boris Tishchenko.

Son : 9  Notice : 10  Répertoire : 9  Interprétation : 10

Jean Lacroix     

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