Un piano Erard de 1875 pour les Triptyques de Franck par Daniel Isoir

par

César Franck (1822-1890) : Oeuvres pour piano : Prélude, Choral et Fugue ; 3e Choral pour grand orgue, transcription pour piano par Blanche Selva ; Prélude, Aria et Final ; Prélude, Fugue et Variations, transcription pour piano par Harold Bauer ; Danse lente. Daniel Isoir, piano. 2019. Notice en français, en anglais et en allemand. 65.47. Muso mu-043.

Né de parents organistes, mon enfance a été évidemment bercée par la musique d’orgue, écrit Daniel Isoir dans la notice, tout en précisant : Malgré cela, je me suis tourné vers le pianoforte et les pianos anciens. Il n’en est pas moins que la musique d’orgue de César Franck m’est restée très chère et je suis heureux d’avoir pu mener à bien cet enregistrement mêlant pièces pour piano et transcriptions d’œuvres pour orgue. C’est aujourd’hui ma façon de rendre hommage à mon père André Isoir. Daniel Isoir est en effet le fils de celui qui a été titulaire du grand orgue de Saint-Germain-des-Prés et a gravé une intégrale de l’œuvre pour orgue de Jean-Sébastien Bach qui demeure une des grandes références. André Isoir a aussi enregistré en son temps l’œuvre pour orgue de Franck (La Dolce Volta). Son fils Daniel, qui a compté Badura-Skoda parmi les professeurs qui lui ont permis de se perfectionner, a fondé en 2006 l’ensemble La Petite Symphonie, avec lequel il a notamment gravé les concertos 13, 14 et 27 de Mozart pour le label AgOgiques. 

Pour le présent disque Franck, qui s’inscrit dans la continuité de l’intérêt paternel pour le compositeur, Daniel Isoir a choisi un piano Erard de 1875 restauré par Nicolas Dumas, en raison de sa qualité sonore et de son timbre dynamique. Le résultat est à la hauteur de l’attente : splendide. Composés en 1884 puis en 1886, dans la décennie au cours de laquelle Franck atteint ses soixante ans, ses deux grands triptyques pianistiques sont des partitions magistrales, toutes deux traitées de manière cyclique. Cette construction répond mieux à l’esprit fortement architecturé de Franck, comme l’écrit si justement Jean Gallois dans le livre qu’il lui consacre (Paris, Seuil, 1966, p. 143). Daniel Isoir en propose des versions non seulement virtuoses, mais qui semblent couler de source, dans un contexte vivifiant, d’une incroyable fluidité dans le Choral du premier triptyque qui irradie de lumière. L’instrument donne à cette musique inspirée une dimension lyrique qui sert idéalement la grave méditation du Prélude, la hauteur de vues du Choral et la progression dramatique de la Fugue. L’acoustique du Théâtre du Château d’Eu n’y est pas pour rien. Elle est d’une présence qui magnifie l’instrument. Dans l’autre triptyque, le Prélude, Aria et Final, moins populaire que le premier, on retrouve la maîtrise que Franck tenait de l’orgue. En soulignant toute la richesse de la progression, Daniel Isoir évite le reproche fait parfois à cette partition, celui d’une uniformité rythmique et d’un discours trop sinueux. Les variations de couleurs, les nuances, la limpidité sont au rendez-vous, à travers un jeu plein d’aisance et de clarté dont la plénitude se manifeste dans le Final.    

A ce fastueux programme, viennent s’ajouter deux transcriptions. La première, de la main de Blanche Selva, date de 1910. Cette formidable pianiste française (1884-1942), qui avait pour mentor Vincent d’Indy, s’est consacrée notamment à Bach, à Beethoven (nombreux concerts publics des sonates), à Franck et à ses disciples, ainsi qu’aux Espagnols ou aux Tchèques. C’est le 3e Choral pour orgue, cathédrale de sons à la rhétorique impérieuse comme le précise la belle notice de Michel Stockhem, qui bénéficie de la sonorité dynamique de l’Erard dans sa version pianistique. La seconde transcription, elle aussi effectuée en 1910, est due au pianiste britannique Harold Bauer (1873-1951). Il s’agit de la troisième des Six Pièces pour orgue, à savoir Prélude, Fugue et Variations qui date de 1860-1862, avec des rythmes berceurs et des arabesques chatoyantes que Daniel Isoir traduit avec chaleur. 

Ce disque superbe s’achève avec légèreté par la charmeuse Danse lente de 1885. Tout au long de ce parcours fascinant, Daniel Isoir magnifie cet Erard de rêve dont le jaillissement sonore entraîne l’auditeur, en capacité d’émerveillement, dans un univers franckiste passionnant. 

Son : 10  Notice : 10  Répertoire : 10  Interprétation : 10

Jean Lacroix 

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