Un plein album consacré à l’un des derniers représentants de l’école franco-flamande
Andreas Pevernage (c1542-1591) : chansons, motets, madrigaux. Utopia Ensemble. Michaela Riener, mezzo-soprano. Bart Uvyn, contre-ténor. Adriaan De Koster, ténor. Lieven Termont, baryton. Guillaume Olry, basse. Septembre 2020. Livret en anglais, allemand, français. Paroles en langue originale et traduction anglaise. TT 71’43. Ramée RAM 2006
« Quo fine, apud Belgas Musica silet » : la disparition de Pevernage à l’âge de quarante-huit ans s’inscrivait dans le crépuscule de l’école franco-flamande, qui s’éteindra avec des compositeurs comme Philippe de Monte (1521-1603). Son catalogue vocal illustre divers genres dont ce disque fournit un significatif aperçu : motets, madrigaux et surtout chansons dont quatre volumes sortirent des presses de l’imprimeur Plantin d’Anvers. Une ville où Pevernage passa ses dernières années dès 1585 comme maître de chant de la cathédrale, venu de Bruges où il s’était installé après avoir fui Courtrai (1563-1578), dans un contexte de tension iconoclaste.
Ne pas mêler les choses du Ciel et de la Terre. Les trois premiers recueils de chansons (à cinq voix) séparèrent d’ailleurs le spirituel (parfois d’inspiration calviniste) du profane. Le programme en inclut huit, se détournant du quatrième recueil qui déploie des polyphonies autrement élaborées (de quatre à huit voix avec double-chœur) que les deux bicinia en plage 11 et 17 (Deux que le Trait d’Amour, La vita fugge). Le CD délaisse la quarantaine de motets du Cantiones sacrae publié à Douai en 1578, leur préférant le Congratulamini mihi omnes (répons en l’honneur de Marie-Madeleine) édité à Venise dix ans auparavant, ainsi que deux « motets iconographiques » gravés sur plaques de cuivres (ils sont représentés pages 11 et 18) et diffusés à Francfort et Nuremberg ; ils attestent la précoce reconnaissance dont pu jouir Pevernage, y compris hors de sa Flandre natale.
Notre homme connaissait la production madrigalesque de son époque, comme atteste son anthologie initiée en 1583 pour un mécène milanais, se référant à une trentaine de compositeurs dont lui-même : en fin d’album, Quando la voce et Il dolce sonno témoignent de cette veine. Deux mouvements de messe (Kyrie, Agnus Dei) écrites par Geert van Turnhout et Antoine Barbé, un Tibi laus, tibi gloria de Séverin Cornet renvoient à la génération précédente et s’entretoisent à cette copieuse exploration de raretés.
Captés de près en l’église Sint-Paulus d’Anvers, dans une perspective frontale et centrée, les cinq solistes d’Utopia tendent un dessin net et homogène qui mériterait de respirer davantage ; l’unique duo mixte apporte une détente et une aération qu’on aurait appréciées dans les pages contrapuntiques. La pureté des timbres et des intonations, la fraîcheur des voix compensent ce que certaines oreilles estimeront comme un manque de saveur et chaleur. En tout cas, aucun amateur de polyphonie Renaissance ne voudra ignorer cet album entièrement voué à Pevernage et à ses œuvres quasiment jamais enregistrées (The Music Prints of Christophe Plantin de Paul Van Nevel en picorait quelques-unes en 2018 pour DHM) : elles sont ici servies avec un soin et un sérieux irréprochables.
Son : 8 – Livret : 9,5 – Répertoire : 9 – Interprétation : 9,5
Christophe Steyne