J’ai vaincu le destin : Œdipe de Georges Enesco 

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Une œuvre rare qui emporte ses spectateurs, une production qui suscite l’adhésion, une superbe performance du baryton Christopher Maltman dans le rôle-titre.

Cette oeuvre, rarement représentée, est le seul opéra du compositeur roumain Georges Enesco. En quatre actes et six tableaux, elle est créée à l’Opéra Garnier en mai 1936. Edmond Fleg en a écrit le livret, versifié, en langue française, et qui réunit deux tragédies de Sophocle : « Œdipe-roi » et « Œdipe à Colonne ». 

Nous partageons la terrible histoire, la terrible « destinée » d’Œdipe, dont la vie est déterminée dès le jour même de sa naissance. Laïos, son père, avait enfreint l’interdiction de procréer, punition d’un viol qu’il avait commis. Le devin Tirésias se fait alors le messager des dieux : cet enfant sera l’assassin de son père et l’époux de sa mère. Evidemment, comme dans toute tragédie, les efforts des uns et des autres pour éviter le pire ne font que le précipiter. Œdipe lui-même : averti de cette prédiction, le jeune homme qu’il est devenu, déchiré, quitte ceux qu’il croit être ses parents pour éviter qu’elle ne se réalise. En fait, c’est ainsi qu’elle s’accomplira.

Ce récit mythique -et qui nourrira tant de réflexions de tous types, n’est-ce pas M. Freud- abonde en séquences fortes : les prédictions et les révélations de Tirésias ; l’assassinat de Laïos par celui qui ignore qu’il en est le fils ; la résolution de l’énigme de la Sphinge (« L’homme est plus fort que le destin »), qui libère Thèbes de la peste ; en récompense, le mariage de celui qui ignore qu’il en est le fils, avec Jocaste ; la découverte de l’horrible vérité : Jocaste se suicidant, Œdipe se crevant les yeux et se mettant en route, guidé par sa fille Antigone. Jusqu’à la rédemption finale : « J’ai vaincu le destin », la paix, la sérénité enfin acquise, enfin conquise. 

Enesco et son librettiste ont magnifiquement structuré cette histoire en des tableaux d’une extrême intensité, à la fois dans le développement du récit et évidemment dans les méandres de la musique qui l’exalte. 

Pour qualifier celle-ci, on me permettra de reprendre les propos de Leo Hussain, le chef qui dirigeait la production de La Monnaie il y a dix ans déjà, en 2011. Pour lui, « l’opéra est une sorte de distillé des goûts musicaux du XXe siècle », « la musique d’Enesco possède l’ampleur wagnérienne, l’élégance malhérienne, elle fait songer à Debussy dans sa délicate beauté, à Scriabine dans sa flamboyante transcendance, avec l’intensité de Janacek et la profondeur d’émotion de Puccini ». Mais il ne s’agit pas pour autant d’une œuvre d’évocation ou de citation, ce n’est pas un « patchwork » : « la partition est toujours quelque chose de réellement nouveau, et –surtout- de typiquement Enesco ». Un bonheur musical donc, remarquablement créé par Ingo Metzmacher à la tête de l’Orchestre de l’Opéra National de Paris. Quant à Wajdi Mouawad, l’homme de théâtre-metteur en scène, il lui confère à la fois un souffle puissant, épique, monumental et une focalisation sur les déchirements d’un personnage emporté par des forces qui le submergent, mais dont l’acceptation de son destin va justement lui permettre de le mener à son terme et d’ainsi le vaincre finalement. Oedipe aura été « plus fort que le destin ». 

« Œdipe », c’est un rôle aussi extraordinaire qu’écrasant pour son interprète. C’est peu dire que Christopher Maltman s’identifie à son personnage, dans le jeu et surtout dans le chant. Quelle énergie, quelle endurance, quelles nuances dans les expressions les plus intenses et les plus contrastées. Dans une distribution d’égale belle qualité, le Tirésias de Clive Bayley et la Sphinge de Clémentine Margaine se distinguent particulièrement. 

Stéphane Gilbart

Paris, Opéra Bastille, le 2 octobre 2021 

Crédits photographiques : Elisa Haberer/OnP

 

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