Un vent de jeunesse souffle sur Les pêcheurs de perles de Bizet
George BIZET (1838-1875) : Les pêcheurs de perles. Julie FUCHS (Leïla), Cyrille DUBOIS (Nadir), Florian SEMPEY (Zurga), Luc BERTIN-HUGAULT (Nourabad), Les Cris de Paris, Orchestre National de Lille, dir.: Alexandre BLOCH. 2017-DDD-48'19 et 61'23-Textes de présentation en anglais et français-Pentatone PTC 5186 685 (2 cd).
Quand ils parlent des Pêcheurs de perles, les discophiles passionnés pensent immédiatement au miracle réalisé par Pierre Dervaux en 1960 avec rien moins que Jeanine Micheau, Nicolai Gedda, Ernest Blanc et Jacques Mars: un bijou d'élégance et d'équilibre si parfait qu'on l'imagine difficilement surpassable ni même égalable. Par ailleurs, et jusqu'à présent, la concurrence avait été peu fournie en témoignages de taille. Oublions quatre ou cinq versions italiennes, dont l'une assez récente (2012 - Brilliant) aux distributions très provinciales, à l'exception d'Alfredo Kraus par deux fois, et à l'intérêt limité. Oublions également Onissim Bron et Arthur Rother, pourtant remarquables mais chantés en russe pour le premier, en allemand pour le second. Restent donc... les autres, tous majeurs: René Leibowitz (1951), Jean Fournet (1953), André Cluytens (1954), Manuel Rosenthal (1959) et George Prêtre (1977). Dernier candidat en date, Michel Plasson, en 1989, alignait une équipe prestigieuse sur le papier mais décevante à l'écoute. Il y avait donc largement la place pour une nouvelle venue afin de prendre la relève d'une discographie figée depuis fort longtemps. Celle-ci comble-t-elle nos attentes pour autant? Pas vraiment, même si elle recèle maintes très bonnes choses.
Une équipe jeune et entièrement hexagonale apporte la preuve qu'à notre époque, on peut encore chanter l'opéra français avec une diction quasi parfaite et un style qui ramène à la grande tradition. Ainsi, tous les « tubes » de l'opéra sont-ils assurés avec brio. Le célèbre duo Au fond du temple saint, au début de l'ouvrage, est racé, tout en délicatesse et comme en état d'apesanteur. Je crois entendre encore est également une réussite. Cyrille Dubois y maîtrise fort bien le mezza-voce et s'acquitte, certes avec des efforts audibles et quelques notes raccourcies, des phrases interminables de Bizet où rares sont les moments où le ténor au supplice peut reprendre son souffle. C'est cependant Julie Fuchs qui, dans le rôle de Leïla, perpétue le plus sûrement le souvenir des grands interprètes du compositeur et s'avère être la grande et belle révélation de cette entreprise. Sa cavatine, à elle seule, rend précieux ce document. La direction, quant à elle, sait se faire tantôt passionnée et ardente, tantôt poétique. Tout est-il parfait pour autant ? Hélas non. Sur un plan général, l'ensemble manque d'unité: chaque scène apparaît comme détachée de la précédente, sans solution de continuité. La trame narrative n'est guère perceptible et le tout manque de relief. On a également l'assez désagréable impression que les airs les plus célèbres ont été peaufinés bien davantage que le reste de l'ouvrage, lequel paraît ici et là quelque peu bâclé et distille un ennui parfois tenace.
En plusieurs endroits, nous avons ressenti une sensation de survol sans grande profondeur que trahissent des couleurs orchestrales assez ternes. Le plus triste est que l'on perd totalement le caractère orientalisant qui donne tout son cachet à l'ouvrage et qu'avaient si bien su capter Fournet, Cluytens, Dervaux, par exemple, lesquels nous prenaient à la gorge dès la première mesure et ne nous lâchaient plus. On signalera aussi les limites techniques des chanteurs, soprano exceptée, ainsi qu'une préciosité dans l'élocution pas toujours de bon aloi. Autre point faible: le choeur, mal capté, il est vrai. Hésitant, hétérogène, peu discipliné, il semble perdre toute consistance au premier forte. Dans une moindre mesure, il en est de même du vaillant orchestre de Lille. Bien que nullement indigne, il nous a paru manquer un peu de la rigueur et du poli qu'il avait réussi à acquérir sous le long et riche mandat de son créateur: Jean-Claude Casadesus. Enfin, sans être catastrophique, la prise de son est plutôt étriquée et manque de définition. On regrettera aussi que l'orchestre soit trop souvent relégué au deuxième rang derrière les chanteurs, au point d'en devenir parfois peu audible. A l'heure du bilan, que faut-il retenir ? Une version qui ne manque pas d'atouts, une entreprise sympathique et encourageante par la jeunesse et l'enthousiasme d'une équipe soudée « qui y croit », avec une Leïla d'exception. Mais une entreprise qui ne bouleverse guère la discographie. Situation inchangée, en fin de compte: les trois légendes citées (Fournet, Cluytens, Dervaux) ont encore de beaux jours devant elles.
Bernard Postiau
Son: 7 Livret: 10 Répertoire: 10 Interprétation: 8