Une brillante interprétation ruinée par un ténor indigne
Wolfgang Amadeus MOZART (1756-1791) : La Clemenza di Tito. Rolando VILLAZON (Tito), Joyce DiDONATO (Sesto), Marina REBEKA (Vitellia), Regulia RÜHLEMANN (Servillia), Tara ERRAUGHT (Annio), Adam PLACHETKA (Publio), Orchestre de chambre de l'Europe, dir.: Yannick NEZET-SEGUIN. 2017-DDD-69'09 et 71'31-Textes de présentation en anglais, allemand et français- 2 CD DGD 483 5210.
La discographie de La Clemenza di Tito, dernier opéra et l'un des ultimes chefs-d'oeuvre du divin Wolfgang, a toujours été assez modeste si on la compare avec celle de la trilogie Da Ponte ou de Die Zauberflöte, par exemple. Pourtant, la qualité a presque toujours compensé la relative pauvreté numérique des parutions. Même si certaines parmi les gravures existantes, portent un âge certain, elles n'en demeurent pas moins de vrais bijoux qui n'ont rien perdu de leur éclat originel : Kertesz, qu'on imagine mal surpassé un jour, Böhm, d'un classicisme intemporel, Davis, marmoréen peut-être mais d'une dignité que nous avons toujours trouvée remarquable. N'oublions pas les magiques soirées de La Monnaie en 1982 où Sylvain Cambreling menait une distribution de rêve menée par la prestation inoubliable de Christiane Eda-Pierre. Ce furent ensuite les grands noms du renouveau baroque qui proposèrent une re-lecture radicale de l'ouvrage: Gardiner et Harnoncourt, en 1990 et 1993 respectivement ; il existe aussi une version filmée avec ce dernier en 2006. Les années 2000 ont été fécondes elles aussi car elles nous ont apporté Charles Mackerras avec Kozena et l'Orchestre de Chambre écossais, Pinchas Steinberg avec Kasarova et les forces münichoises en 2006 et enfin Jérémie Rhorer en 2014 dont nous avons déjà dit tout le bien que nous pensions. Alors, que dire de la nouvelle venue ? Incontestablement, elle tient son rang face à cette redoutable concurrence, mais avec un bémol de taille qui la disqualifie partiellement ; nous y reviendrons. On notera avant tout la direction à la fois nerveuse, dynamique, légère et allègre de Yannick Nézet-Séguin qui semble s'essayer, avec bonheur, à un juste milieu entre la tradition de Kertesz et Böhm et le renouveau suggéré par Harnoncourt et Gardiner. La distribution féminine est très soignée : la toujours parfaite Joyce DiDonato prête sa voix au rôle de Sesto tandis que Marina Rebeka trouve d'emblée le ton exact de celui, exigeant, de Vitellia. Les rôles de Servilia, Annio et Publio sont également tenus à la perfection. Les choeurs sont excellents, les récitatifs au pianoforte également et la prise de son est tout à fait honorable. Mais quelle idée d'être allé chercher Rolando Villazon pour incarner le rôle de Titus ! Ces coups de glotte, ce ton larmoyant, ces portamentos de mauvais goût, ce ton nasillard, ces notes hautes qui n'existent chez lui qu'à l'état de cri, toutes ces choses qu'il emporte dans ses bagages quel que soit le répertoire qu'il aborde, de Purcell à Puccini, nous ont semblé absolument insupportables. Alors oui, cette version est vraiment réussie, épatante même à bien des égards, mais grevée d'un Titus indigne. La conclusion est plutôt amère car peut-on recommander une telle initiative, belle dans sa globalité mais torpillée par l'indigence du rôle-titre? Les amoureux de cet opéra, qui seraient déjà familiers des versions citées ici, prendront malgré tout la peine d'écouter cette nouveauté car, nonobstant la regrettable erreur de distribution, elle apporte son lot d'idées originales et une approche « médiane », pertinente à notre sens, entre tradition et renouveau.
Bernard Postiau
Son: 9 Livret: 10 Répertoire: 10 Interprétation: 8