Une fin de saison morose pour l’OSR 

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Pour achever la saison 2022-2023, Jonathan Nott et l’Orchestre de la Suisse Romande conçoivent un programme qui met en parallèle une création de Yann Robin et deux grandes pages de Richard Strauss.

Shadows III est un concerto pour quatuor à cordes et orchestre qui émane d’une commande de l’Orchestre de la Suisse Romande. A côté d’une formation de jazzman au CNR de Marseille, le musicien a étudié la composition auprès de Georges Bœuf avant d’intégrer la classe de Frédéric Durieux au Conservatoire de Paris et celle de Michaël Levinas en analyse puis de suivre le Cursus Informatique de l’IRCAM. Pour cette création réunissant l’effectif complet de l’OSR, l’on sollicite la participation du Quatuor Tana qui pousse jusqu’à ses extrêmes limites les possibilités de chacun des instruments. Sur une basse de roulement de timbales, les quatre cordes livrent des figures en dents de scie avec traits à l’arraché, staccati véhéments, effets percussifs entraînant dans leur sillage l’orchestre qui élargit la progression jusqu’à un premier tutti. Comme irrité par ce premier paroxysme, le quatuor semble vouloir attaquer l’ensemble lui faisant face qui pourrait être aussi son double. Avec un sourire emprunté, Jonathan Nott arrête le tout en prétextant qu’il a sauté deux pages puis reprend au tutti. Les traits virulents tirés par les solistes butent contre de massives parois sonores, avant de laisser affleurer un pianissimo consolateur projetant enfin une ombre sur les cordes en sourdines. Mais de nouvelles déflagrations ponctuées par les cloches provoquent une course à l’abîme débouchant sur un insondable mystère… Much Ado About Nothing (Beaucoup de bruit pour rien) se dit l’auditeur exténué invoquant Shakespeare, gratifiant d’applaudissements nourris le Quatuor Tana qui a fait tout son possible pour assumer la partie soliste, adressant néanmoins des huées exaspérées à l’auteur de cette première mondiale qui peut se targuer d’être la plus faible de celles qu’a présentées l’OSR au cours de ses dernières saisons.

En début de seconde partie, une question vous vient à l’esprit … Faut-il conserver un effectif de plus de cent instrumentistes pour exécuter la Danse des sept voiles extraites de Salome et les Vier letzte Lieder ? Certes la première de ces pages exhibe une orchestration luxuriante que Jonathan Nott plonge dans une épaisse torpeur d’où il laisse surgir la mélopée du hautbois. Les inflexions sensuelles enveniment la progression jusqu’au tintamarre, ne laissant qu’un trille de flûte et hautbois suspendu avant de retomber brutalement.

Paraît enfin Asmik Grigorian, soprano lituanienne qui, à la scène, campe une Salome, une Chrysothemis d’Elektra. Elle a donc les moyens d’un grand lyrique /dramatique en mesure de produire un legato sur l’ensemble de la tessiture. Pour qui a entendu les Schwarzkopf, Della Casa, Jurinac ou Grümmer d’une époque bénie des dieux, ce genre de voix peut surprendre pour les crépusculaires Vier letzte Lieder. Cependant, elle a au moins le mérite de ‘passer’ au-delà du mur érigé par un orchestre qui n’a jamais eu pour qualité première de savoir accompagner un chanteur. Dès les premières notes graves de Frühling, elle élabore une véritable ligne de chant afin de parvenir aisément à un aigu radieux. Il lui importe peu que les bois jouent trop fort ou que le violon solo peine à se faire entendre dans Beim Schlafengehen. Elle demeure imperturbable et n’a aucune peine à s’imposer comme la triomphatrice de cette bien pauvre soirée.

Paul-André Demierre

Genève, Victoria Hall, 24 mai 2023

Crédits photographiques : Algirdas Bakas

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