Une nouvelle vie pour Lotario, rare et mal-aimé opéra de Handel ?

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George Frideric Handel (1685-1759) : Lotario, dramma per musica en trois actes, HWV 26. Francesca Lombardi Mazzulli (Adelaide, reine d’Italie), Carlo Vistoli (Lotario, roi de Germanie), Krystian Adam (Berengario, roi d’Italie), Anna Bonitatibus (Matilde, son épouse), Rafael Tomkiewicz (Ildeberto, frère de Berengario), Ki-Hyun Park (Clodomiro, général de Berengario) ; Händelfestspielorchester Halle, direction Attilio Cremonesi. 2023. Notice en anglais. 157’. Un album de deux CD Naxos 8.660570-71.    

Le 2 décembre 1729, avait lieu à Londres la création du nouvel opéra de Handel, Lotario, le premier de la « seconde académie » qui prolongeait l’aventure de la Royal Academy of Music sur de nouvelles bases financières et organisationnelles. Mais, en raison d’un livret peu inspiré et d’une intrigue surchargée, ce fut un échec : l’œuvre ne resta à l’affiche qu’une petite dizaine de jours avant de tomber dans l’oubli. Jonathan Keates, dans la biographie qu’il consacre au compositeur (Fayard, 1995, p. 187) a expliqué que Handel ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même, et il est bien difficile de plaider la cause de Lotario. L’élément mélodramatique, plus présent dans cet opéra que dans plusieurs de ses prédécesseurs, ajoute peu d’intérêt à un ouvrage construit sur un modèle aussi traditionnel (tyrans usurpateurs et héroïnes affligées dans un décor de l’Italie lombarde), qui contient moins d’airs de qualité que la grande majorité des œuvres que Handel avait produites depuis Il Pastor Fido.

Peu repris sur scène, Lotario n’a pas connu non plus un digne destin discographique : on relève des extraits parus chez Oehms en 2004, avec les voix de Núria Rial, Andreas Karasiak ou Lawrence Zazzo, dirigées par Paul Goodwin à la tête du Kammerorchester Basel, et une intégrale confiée à Alan Curtis à la tête d’Il Complesso Barocco, avec Simone Kermes, Sara Mingardo ou Hilary Summers (Deutsche Harmonia Mundi, 2004), dont les atouts, pourtant appréciables, n’ont pas réussi à servir la cause de cet opéra décevant. Une nouvelle expérience a été tentée à Halle, en Haute-Saxe, où Handel est né et a passé son enfance. Cette cité organise depuis plusieurs décennies un festival consacré aux œuvres de son illustre concitoyen. Il y a deux ans, on y a fêté le 30e anniversaire de la fondation du Händelfestspielorchester, avec deux productions : l’oratorio La Resurrezione de 1708, et Lotario, en version de concert. Naxos propose l’enregistrement en public de ce dernier, effectué du 8 au 10 juin 2023. Va-t-il modifier les préjugés négatifs qui planent sur cet opéra ? La réponse est à nuancer.

Retour en 1729. De février à juin, Handel voyage en Italie, notamment à Venise, à Naples et à Parme, ce qui lui permet de découvrir de nouvelles voix et de se rendre compte de l’évolution de l’opéra local. Il engage quelques chanteurs, qui le rejoindront dès novembre en Angleterre, où Handel est revenu le 29 juin. Il a entendu à Venise le nouvel opéra Adelaide du Florentin Giuseppe Maria Orlandini (1676-1760), composé sur un livret d’Antonio Salvi (1664-1724), dont s’emparera pour l’adapter un certain Rossi, sans doute l’auteur du livret d’Il Pastor Fido, Giacomo Rossi, qui décédera en 1731. L’intrigue à six personnages met en scène Adelaide, légitime veuve du roi d’Italie assassiné, contrainte à partager son royaume avec Berengario, marié à Matilde. Installé à Milan, l’usurpateur assiège sa rivale, réfugiée à Pavie. Idelberto, le fils de Berengario, est amoureux d’Adelaide et désire la protéger. Mais celle-ci promet sa main à Lotario, roi de Germanie, s’il l’aide à retrouver la paix. Faite prisonnière, elle servira de monnaie d’échange avec Berengario, capturé par Lotario. Matilde tentera de se suicider, Adelaide sera libérée, Ildeberto s’offrant en otage à la place de son père. Généreuse, Adelaide pardonnera et offrira à Ildeberto le trône de son père. Ces péripéties s’inspirent de faits historiques survenus au Xe siècle, sous le règne d’Othon de Germanie. 

Mais le livret qu’en tire Rossi est lourd et mal construit ; il n’inspire Handel que moyennement. Ce dernier fabrique une série d’airs et de récitatifs qui se succèdent de façon assez lassante, sinon fastidieuse, pendant près de deux heures et demi, bien longues à l’audition. Peu d’interventions emportent l’enthousiasme, sauf, moments où l’intérêt se ranime de la torpeur qui menace, l’air d’Adelaide D’una torbida sorgente (Acte II, scène 10), ou celui de Berengario, Vi sento, sì, rimorsi entro al mio sen (Acte III, scène III), ou le duo conclusif entre Adelaide et Lotario. On reconnaîtra que c’est peu pour une partition au sein de laquelle l’une ou l’autre acrobatie vocale ne relève que peu le niveau général d’une inspiration que Handel retrouvera heureusement très vite, dès Partenope, créé avec succès au début de 1730.

La présente production a pourtant d’incontestables mérites, grâce au travail du chef italien Attilio Cremonesi. Avec un effectif de seize violons et altos (Handel en avait 24 à Londres), trois violoncelles, deux contrebasses, deux hautbois, deux bassons, une trompette et deux cors, et la présence de deux clavecins et d’un archiluth dans le continuo, le meneur de jeu arrive à injecter des couleurs et un certain dynamisme à une partition qui en a bien besoin. Sans toutefois convaincre que le désamour pour Lontario n’est pas justifié, malgré un plateau vocal, qui fait preuve d’engagement. On y retrouve des voix dont Cremonesi lui-même, dans une note introductrice, souligne la valeur. On se rallie à son opinion. Le contreténor Carlo Vistoli est un Lotario virtuose, qui sert les mélodies avec intensité. Le ténor polonais Krystian Adam et la mezzo-soprano Anna Bonitatibus incarnent le couple Berengario/Matilde dans un style qui combine les nuances et souligne les ornementations avec finesse. Un autre contreténor, Rafal Tomkiewicz, lui aussi Polonais, donne au rôle d’Idelberto l’expressivité qu’il appelle, tandis que la basse coréenne Ki-Hyun Park affirme une belle présence en Clodomiro. La soprano Francesca Lombardi Mazzulli, aux inflexions convaincantes, sert le personnage de l’héroïque Adelaide avec émotion.

En fin de compte, cette version, qui enrichit une discographie des plus maigres, est la bienvenue. Même si elle confirme qu’il ne s’agit pas d’une page majeure de Handel, elle a le mérite d’inscrire Lotario dans le champ discographique, en venant s’ajouter au témoignage  déjà lointain d’Alan Curtis.

Son : 8    Notice : 9    Répertoire : 7    Interprétation : 8,5

Jean Lacroix

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