Vie de Christian IV ingénieusement illustrée sur l’orgue qui lui fut offert

par

Life Pictures. Scenes of the Life of King Christian IV. Jan Pieterszoon Sweelinck (1562-1621), Samuel Scheidt (1587-1654), Orlando Gibbons (1583-1625), Hans Leo Hassler (1564-1612), Giles Farnaby (c1563-1640), Edward Johnson (c1572-1601), John Bull (1562-1628), Heinrich Scheidemann (c1596-1663), Richard Edwards (XVIème siècle), José Ximénez (1601-1672), Melchior Schildt (1592-1667) et anonymes. Peter Waldner, orgue Compenius de la chapelle du château Frederiksborg à Hillerød. Livret en anglais. Août 2020. TT 79’32. Tastenfreunden 8

C’est une chose que de proposer un récital autour de la Renaissance tardive, c’en est une autre que de réussir un programme aussi pertinemment agencé, et le relier à l’histoire de l’instrument qui le fait entendre. Constitué de tuyaux en bois et en ce sens un chef-d’œuvre de facture eu égard à la diversité des jeux (27 sur deux claviers et pédalier), cet orgue fut construit en 1610 par Esaias Compenius pour la résidence d’Hessen. Après la mort de son commanditaire, le Duc de Braunschweig-Wolfenbüttel, il fut déplacé au château d’Hillerød en 1617 : sa veuve Elisabeth l’offrit à son frère Christian IV (1577-1648), qui régna soixante ans sur le Danemark et la Norvège.

Impeccablement préservé par les siècles, un tel témoin de l’organologie a été courtisé par une enviable discographie. Une vingtaine de jalons. Souvent par des spécialistes du clavier et répertoire anciens. Sans remonter aux enregistrements de Finn Viderö pour HMV dans les années 1930-50, on citera un panel de danses par Francis Chapelet chez Harmonia Mundi (1964), le vinyle d’Harald Vogel en 1972, celui de Lena Jacobson capté en mars 1978 (réédité en compact chez BIS). Aussi les CD de Per Kynne Frandsen (Dacapo, 1996), Albert Bolliger (Sinus, 2005), ou Jean-Charles Ablitzer (2008). Particulièrement intéressant, le Konge Af Danmark de Freddy Eichelberger et les Witches (Alpha, juillet 2008) illustrait les reflets de l’Europe musicale à la Cour du monarque scandinave. Le présent album a choisi un angle encore plus ingénieux : retracer sa vie à travers un parcours qui mène de la naissance à la mort. Certes toutes les œuvres ne se rattachent pas spécifiquement à Christian IV et pourraient s’appliquer à d’autres dignitaires de l’époque, à l’exception de la Galliarda Dulenti de Samuel Scheidt qui brode nommément sur The most high and mighty Christianus the fourth, King of Denmark, his galliard de John Dowland.

Vingt-quatre pièces, certaines bien connues, brossent les divers aspects d’une existence aristocratique : naissance (l’adorable Ons is gheboren een kindekijn de Sweelinck), baptême, enfance (un Branle tiré du cahier pour l’instruction de la fillette Suzanne von Soldt), couronnement, mariage (Ballo del Granduca), progéniture (A Toye de Farnaby), mort (l’émouvante Pavana Lachrymae de Dowland) et consécration. Entretoisé au curriculum, le quotidien est aussi abordé : festins de palais, plaisirs de la chasse (King’s Hunt de John Bull), honneurs de la guerre (non celle de Clément Janequin, qui engendra moult arrangements, mais une Batalla de Ximénez), soupers animés, devoirs nuptiaux et errements extraconjugaux (In going to my naked bed, on saisit l’hypallage), puis l’heure d’aller au lit : Bull’s Goodnight, Giles Farnaby’s Dreame, qu’on entend souvent au clavecin, par exemple Pierre Hantaï. Cette galerie de pièces profanes se complète par quelques escales dérivées de la musique sacrée, reflet des préoccupations religieuses et de l’année liturgique : Noël (Wie schön leuchtet der Morgenstern), carnaval, Credo in unum Deum de Scheidt, et le pieux Benedicam Domino qui inscrit le Roi dans sa postérité.

Accréditant l’idée qu’il occupa une certaine importance pour le souverain danois et mélomane, le transfert de l’orgue en 1617 est même évoqué, en l’occurrence par Gleich wie das Feuer de Schildt, sans qu’on comprenne pourquoi ces variations ont été retenues : les explications de la notice, au demeurant fort détaillée, ne sont pas très explicites à ce sujet. L’occasion de signaler la qualité de ce livret, informatif, richement iconographié. On regrette seulement qu’il ne précise les registrations employées (majoritairement manualiter), ce qui permettrait à l’auditeur de mettre un nom sur les ravissantes sonorités expertement choisies par Peter Waldner. Le buffet posé à même le sol ne se prête pas à la réverbération d’une tribune d’église, toutefois la disposition des plans de tuyaux autorise de convaincants effets d’écho, ainsi dans les bruits de guerre et de chasse. La copieuse prise de son ne laisse rien perdre de la respiration des soufflets (actionnés à force humaine), du vénérable charme de ces flûtes et principaux, du caractère des anches (Rancket, Krumbhorn, Regal…) On ne rappellera pas que Peter Waldner est une sommité fort active dans l’interprétation de ce répertoire, comme l’attestent ses nombreux concerts et enregistrements, et comme en témoigne son site internet. La vie de Christian IV prétexte ici un admirable florilège, joué avec toute l’inspiration, la virtuosité et la séduction qu’on saurait imaginer.

Son : 9 – Livret : 9,5 – Répertoire : 9-10 – Interprétation : 10

Christophe Steyne

 

 

 

 

 

 

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