Violoncelle de Guerre

par

Ernest BLOCH (1880-1959) : Schelomo, pour violoncelle et orchestre – Edward ELGAR (1857-1934) : Concerto pour violoncelle en mi mineur. Gary Hoffman (violoncelle), Orchestre Philharmonique de Liège, Christian Arming (direction) – 62’53 – Textes de présentation en français, anglais, japonais et allemand – La Dolce Volta LDV42

L’ombre de « la guerre pour mettre fin à toutes les guerres » plane sur ces deux chefs-d’œuvres incontestés du répertoire concertant pour violoncelle : le fameux Concerto en mi mineur d’Edward Elgar, et, Schelomo d’Ernest Bloch. Gary Hoffman, violoncelliste hors pair bien connu des mélomanes belges, choisit judicieusement d’associer ces deux œuvres aux tons amers et élégiaques, finement accompagné par notre cher et tendre Orchestre Philharmonique Royal de Liège sous la direction de Christian Arming.

Au printemps 1916, alors qu’il prépare son exil imminent vers les États-Unis, Ernest Bloch compose Schelomo pour violoncelle et orchestre à partir des esquisses d’une œuvre pour voix et orchestre basée sur le Livre de l’Ecclésiaste. Ni l’Anglais, ni le Français ou l’Allemand ne lui convenaient, et ne connaissant pas assez d’Hébreu pour mener à bien le projet, Bloch l’abandonna jusqu’à ce qu’il se lie d’amitié avec le violoncelliste Alexandre Barjansky et sa femme. Ses espoirs se ravivèrent et il décida de remplacer la voix soliste, limitée par le texte, par « une voix infiniment plus grande et profonde, parlant toutes les langues », le violoncelle.

Cette Rhapsodie Hébraïque établit instantanément sa réputation internationale. Et pour cause ! En trois parties (lent-vif-lent), l’écriture éloquente pour le violoncelle soliste contraste avec une orchestration luxuriante (préfigurant les premiers grands compositeurs de musique de film américains tels que Korngold ou Rosza). On retrouve une authenticité orientale dans l’écriture de Bloch qui fait pâlir les représentations musicales « orientalisantes » de Rimsky-Korsakov ou Moussorgski.

Le Concerto d’Elgar, plus fréquemment enregistré, est ici présenté dans une interprétation remarquable et hautement personnelle. Même avec une œuvre si bien connue et tant jouée, le kaléidoscope d’émotions qu’offre Elgar dans cette composition fascine toujours – la noblesse nostalgique du 1er mouvement, l’aspect champêtre « d’antan » et capricieux du 2ème (une référence à Mercure, le messager ailé de Holst ?), le chant de cygne si mahlérien du 3ème mouvement… Un portrait musical touchant d’un homme se questionnant sur sa place dans un monde meurtri, en tant qu’homme et compositeur.

Gary Hoffman, l’OPRL, et Christian Arming nous offrent deux interprétations exemplaires de ces œuvres. Dans Schelomo, Hoffman, représentant la voix de Salomon, règne dans ses longues phrases cadentielles avec un son généreux – l’auditeur profite pleinement du superbe registre grave de son Amati de 1662. Les gestes musicaux, autant pour le soliste que pour l’orchestre, sont passionnés - de grandes vagues sonores déferlent, laissant place ensuite à de larges étendues, mornes et désolées. Inversément, chez Elgar, on découvre davantage d’introspection et de réserve. Loin du jeu enflammé qu’on retrouve dans les interprétations plus courantes d’autres violoncellistes, Gary Hoffman ne poursuit clairement pas la virtuosité au nom de la virtuosité seule. La belle prise de son, de par sa clarté,  convient idéalement à la direction précise de Christian Arming. Les différents pupitres sont mis en évidence, et on apprécie d’autant plus particulièrement les interventions impétueuses, véritables grondements de tonnerre, à la timbale au 4ème mouvement du Elgar.

Une réussite !

Pierre Fontenelle, Reporter de l’IMEP

 

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