Visages de l’œuvre d’orgue d’Indra Riše, compositrice lettonne d’aujourd’hui

par

Trumpets of Angels. Indra Riše (1961*) : Eņģeļu taures ; Attālumi ; Dziesmas par Laimi, Raiņa dzeja ; Saules apmirdzētie ; Mijiedarbība ; Uguns rituāls. Ligita Sneibe, orgue de la Cathédrale de Riga. Ilona Birģele, orgue de l’église luthérienne Sainte-Catherine de Kuldīga. Inga Šļubovska-Kancēviča, soprano. Anete Toča, Imants Sneibis, flûte. 2000, 2009, 2015. Livret en anglais et letton.  69’18. Skani 090

Née à Dobele voilà soixante ans, Indra Riše étudia le piano et la composition au Conservatoire de Riga. En 1993, une bourse du ministère danois de la Culture l’amena à Copenhague et lui permit d’approfondir l’écriture dans les classes de Niels Rosing-Schow et Ivar Frounberg. Elle y collabora aussi avec l’Opéra, la Radio et des éditeurs de musique locaux pendant une dizaine d’années, avant de revenir en Lettonie en 2003 où elle poursuivit son œuvre, parallèlement à d’importantes charges de représentation auprès du Bureau des Compositeurs et auprès de l’International Society of Contemporary Music. Plusieurs CD lui furent entièrement consacrés (Point Records en 1998, Dacapo en 1999…), incluant notamment sa musique de chambre et vocale, utilisant parfois l’électronique.

Dans l’interview du livret, Indra Riše explique son intérêt pour l’orgue depuis qu’elle en tâta au Conservatoire. Parmi les compositeurs qu’elle dit admirer, Bach bien sûr, Messiaen, et Reger même si elle trouve sa musique trop compliquée. On se douterait que les double-fugues enchevêtrées ne sont pas l’univers de cette compositrice qui privilégie la simplicité (« je tends vers une expression claire et concise »). Même si elle se sent proche de la nature et aime les balades en forêt depuis l’enfance et ce que cela inclut d’un goût de l’errance, elle reconnaît la nécessité du cadrage formel. Spectrum, l’une de ses premières créations pour l’orgue (1990), ne figure pas sur cet album qui, au travers d’enregistrements déjà anciens (entre 2000 et 2015), compile une anthologie de sa production (1992-2014) pour ou avec cet instrument. 

Le disque s’ouvre sur Eņģeļu taures (Trompettes des anges) qui lui donne son titre ; les appels, les martèlements d’accords lumineux voire joyeux, les processions béates, la radieuse consonance ne laissent pas deviner que cette page est dédiée à la mémoire d’un ami disparu. Les autres pièces se consacrent aussi à l’orgue seul. Ou quasiment puisque Saules apmirdzētie (Illuminé par le soleil) s’accessoirise de quelques interventions de wood-block et par deux voix (féminine et masculine) qui se hèlent, auxquelles les tuyaux font écho avant d’instiller des climats menaçants percés d’anxieux gazouillis. L’on ne saurait déterminer le véritable climat de cette œuvre ambivalente (« plus on escalade et on cherche le soleil, moins on est protégé du vent et de la tempête » selon Indra Riše) dont la seconde section confirme l’inquiétude.

Dziesmas par Laimi fut conçu en commémoration du 150e anniversaire des écrivains Rainis (Jānis Pliekšāns) et Aspazija (Elza Pliekšāne), nés en 1865. Ce cycle de cinq attachantes mélodies (le titre Chant du bonheur traduit bien le contenu) est dédié à Inga Šļubovska-Kancēviča qui les interprète ici, remarquablement. La flûte d’Anete Toča suggère les espaces poétiques d’Attālumi (Distances), qui montre à quel point l’auteure y favorise une émotion naïve et spontanée. La partie soliste domine sur les tuyaux, en l’occurrence ceux de l’église Sainte-Catherine de Kuldīga, ville qui avec ses quelque treize mille habitants, compte parmi les quinze cités majeures du pays. Signalons que la notice ne présente aucun des deux orgues, ce qui est moins gênant pour celui, bien connu, de la Cathédrale de Riga que l’on entend dans l’essentiel du programme. Il ne manque pas de ressources : à sa construction en 1883, la firme Walcker l’avait doté de 124 jeux, alors une des plus riches consoles du monde, bientôt détrônée par celle de la Trinitatiskirche de Liepaja (131 jeux, traction mécanique !). En cette fin du XIXe siècle, la Lettonie s’était dotée de deux orgues qui jouissaient d’une réputation internationale et qui ont conservé leur prestige. 

Autre œuvre avec flûte, plus ambitieuse qu’Attālumi : Mijiedarbība (Interaction) invite l’un des grands musiciens lettons, Imants Sneibis, que l’on entend en plage 11 et non en plage 5 comme indiqué par erreur au verso du digipack. Partition chromatique, expérimentale et exigeante (Flatterzunge, over-blowing, slapping, jeu en harmoniques, multiphonie, vocalisation…), qui profite ici de la technique de ce virtuose. L’orgue s’intègre progressivement à la partie soliste et développe des agrégats complexes et dissonants.

Uguns rituāls, l’œuvre la plus large ici présentée, déploie un triptyque qu’inspirent les rituels du feu des anciennes tribus baltes, célébrés quatre fois l’an, aux solstices et équinoxes. Plutôt qu’évoquer les cérémonies spécifiques à chaque changement de saison, les trois volets illustrent successivement un rassemblement sur le site sacré (page hymnique et incantatoire), une évocation des dieux et sacrifice (écriture laconique, sorte de chant d’oiseau messiaenesque mais en style télégraphique), et finalement une ronde qui s’avère hélas pesante, statique et redondante. Avec un tel sujet, et malgré la qualité d’exécution par Ligita Sneibe, on peut estimer que la compositrice aurait pu réussir autre chose. 

Son : 8-9 – Livret : 8 – Répertoire : 6-8 – Interprétation : 9

Christophe Steyne

 

 

 

 

 

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