Vox Luminis : un avant-goût de Noël avec Schütz et ses contemporains , et un coffret pour fêter ses 20 ans 

par

Heinrich Schütz (1585-1672). Weihnachtshistorie : Historia der Geburt Jesu Christi SWV 435 ; O bone Jesu, fili Mariae SWV 471 ; Magnificat SWV 468. Andreas Hammerschmidt (1611/12-1675) : Machet die Tore weit ; Ehre seit Gott in der Höhe ; Alleluia, freuet euch, ihr Christen alle ; Freude, Freude, große Freude. Michael Praetorius (1571-1621) : Es ist ein Ros entsprungen. Vox Luminis, direction Lionel Meunier. 2024. Notice en anglais, en français et en allemand. Textes chantés en allemand, avec traductions anglaise et française. 73’ 58’’. Ricercar RIC 467. 

Vox Luminis 20 years. Œuvres de Jean-Sébastien Bach (1685-1750) et de membres de sa famille, de Heinrich Ignaz Franz von Biber (1644-1704), Marc-Antoine Charpentier (1643-1704), Johann Joseph Fux (1660-1741), Andreas Hammerschmidt (1611-1675), George Frideric Handel (1685-1759), Reinhardt Keiser (1641-1739), Johann Caspar Kerll (1627-1693), Henry Purcell (1659-1695), Domenico Scarlatti (1685-1757), Samuel Scheidt (1587-1654), Heinrich Schütz (1585-1672), et autres compositeurs baroques. 2007-2021. Vox Luminis, direction artistique Lionel Meunier. Avec Les Muffatti, L’Achéron, Clematis, Freiburger Barockconsort, etc. Notice en anglais et en français. 22 h. 32’ 37’’. Un coffret de 21 CD Ricercar/Ramée/Alpha RIC 111. 

La célébration ne doit pas être réservée aux seuls compositeurs, leurs interprètes doivent recevoir aussi la reconnaissance légitime de leurs prestations. C’est le cas en cette année 2024 pour Vox Luminis, fondé il y a vingt ans, dont la discographie ne cesse de s’enrichir. Un gros coffret vient fêter l’événement. Mais un nouvel album, gravé du 3 au 7 juillet dernier en l’église Notre-Dame de Gedinne, vient s’y ajouter en cette période proche de Noël, à laquelle il est consacré. L’essentiel du programme est dévolu à l’Oratorio de la Nativité que Heinrich Schütz compose en 1664 ; il est complété par deux pages du même compositeur, et par quatre motets signés par Andreas Hammerschmidt, auquel Vox Luminis a déjà consacré un album (Ricercar, 2019). Michael Praetorius est aussi à l’honneur avec son célèbre choral Es ist ein Ros entsprungen dans sa version polyphonique. 

Ces sept pages de courte durée, placées dans l’album avant l’Historia der Geburt Jesu Christi du luthérien Schütz, installent une ambiance propice à cette période de Nativité, les quatre pages de Hammerschmidt, tirées de plusieurs recueils parus entre les années 1640 et 1670, avec leurs effectifs vocaux variés, soutenus par une basse continue, soulignant aussi bien des moments intimes ou expressifs que festifs. On lira de plus amples détails dans la notice, signée de manière érudite, comme toujours, par Jérôme Lejeune, qui nous sert de guide. Avant l’oratorio, on découvre aussi de Schütz un Magnificat, qui date sans doute de la même époque, pour quatre solistes évoluant sous diverses formes, et un ensemble instrumental composé de trois cordes et de trois trombones, qui accompagnent les solistes ou jouent isolément. Sept voix, deux violons et cinq « viole » célèbrent O bone Jesu, fili Mariae, avec des alternances de chœurs, et une conclusion madrigalesque. 

Ainsi introduit, l’Oratorio de la Nativité apparaît comme très coloré, tant sur le plan vocal qu’instrumental : le style déclamatoire, les inflexions figuratives et la conduite de la basse continue que l’on peut observer dans les récits de l’évangéliste (ténor) sont bien les bases du style qu’adoptera Bach, écrit Jérôme Lejeune. Auprès des violons, basson, flûtes, trombones ou trompettes viennent souligner la joie qui anime l’œuvre. Sa reconstitution a été réalisée à partir des sources manuscrites de la collection Düben de l’Université suédoise d’Uppsala, d’où proviennent aussi les deux autres pages de Schütz.

On retrouve ici les qualités habituelles de Vox Luminis, que Lionel Meunier mène avec un goût très sûr (il chante lui-même dans un Hammerschmidt et dans l’oratorio) : équilibre instrumental et vocal, dosage approprié des timbres, cisèlement des nuances, attention accordée au sens des mots, écoute mutuelle complice et plaisir du partage. Le résultat est séduisant : il préfigure avec bonheur la fête qui approche, symbolisée par le tableau de Rubens qui illustre la couverture de l’album.

  

Le premier concert de Vox Luminis a eu lieu à l’IMEP de Namur le 31 mars 2004 ; l’ensemble fête donc cette année ses 20 ans. L’initiative de son existence revient à Lionel Meunier, né en 1981 dans la Nièvre, en Bourgogne-Franche-Comté, plus précisément à Clamecy, où avait vu le jour Romain Rolland (1866-1944), Prix Nobel de littérature en 1915. Après formation dans sa petite localité natale, on retrouve Lionel Meunier en 2000 à l’IMEP de Namur pour se perfectionner à la flûte à bec et au chant (sa tessiture est celle d’un baryton-basse), avant le Conservatoire de La Haye. Il participe à des ensembles comme le Collegium Vocale Gent ou au Chœur de Chambre de Namur. La présentation du coffret en hommage aux 20 ans de Vox Luminis précise que cet intitulé est apparu pour la première fois lorsque Meunier a décidé des étudiants en chant, venus de multiples horizons, de se produire en public dans le Stabat Mater de Domenico Scarlatti. Cette émouvante page sacrée sera en toute logique son premier enregistrement pour Ricercar en 2007, suivi, trois ans plus tard, par les Sacrae Cantiones de Samuel Scheidt, et en 2012, par les Musicalische Exequien de Heinrich Schütz. Bien accueillis par la critique au moment de leur parution, ces disques sont prolongés en 2013 par un album consacré à la Renaissance, où se côtoient Ockeghem, Josquin Desprez, Roland de Lassus et quelques autres, dont Henry VIII, aussi fin musicien que cruel souverain. La voie est ouverte pour un splendide volume English Royal Funeral Music (2013), qui honore Purcell, Morley ou Tomkins. Ces cinq parutions Ricercar sont bientôt complétées, chez Ramée, par un double album qui offre la Brockes-Passion de Keiser, avec la participation des Muffatti. Bernadette Beyne s’en est fait l’écho dans les colonnes de Crescendo, le 31 mars 2014, dix ans jour pour jour après le premier concert de Vox Luminis, sous la forme d’un entretien, à relire, avec Jérôme Lejeune. 

2014 est une date charnière. Vox Luminis a désormais son orchestre propre, qui propose le Magnificat de Bach, gravé en 2017 pour Alpha, avec le Dixit Dominus de Handel. Jean-Sébastien n’est pas le seul membre de la famille à être mis en valeur, d’autres le sont aussi : des motets de Johann (1604-1673), Johann Christoph (1642-1703) et Michael (1648-1694) sont gravés en 2014, avant quatre cantates du Cantor, sous le titre Actus Tragicus, en 2016, et le Magnificat déjà cité ; des cantates d’autres Bach suivront en 2018. Entretemps, deux Requiems, de Kerll et de Fux ont été enregistrés, de même que deux disques qui mettent en valeur la musique de la réforme luthérienne. À ce riche panorama, qui s’étoffe au fil du temps, viendront encore s’ajouter King Arthur de Purcell et un prodigieux Requiem de Biber (Alpha, 2018 et 2019), mais aussi un approfondissement de pages du moins connu Hammerschmidt (Ricercar, 2019). Orphée aux enfers de Marc-Antoine Charpentier (Alpha, 2019), avec un remarquable Reinoud Van Mechelen, et, en 2021, un Deutsches Barockrequiem (Ricercar), où dix compositeurs baroques se côtoient, comme une préfiguration de ce que Brahms réalisera plus tard, complètent l’éclectisme du coffret.

On saluera l’initiative d’Outhere d’avoir rassemblé ici les gravures Ricercar, Ramée et Alpha. On prend ainsi mieux conscience de la remarquable évolution de Vox Luminis depuis sa fondation. L’excellence s’est développée de plus en plus, les voix ont performé qualitativement tant en nuances qu’en couleurs ; l’attention accordée à la prononciation des divers idiomes (français, italien, allemand, anglais) est constante, ainsi que la ferveur et l’investissement, présents à chaque fois.

Plusieurs collaborateurs de Crescendo, dont nous-même, n’ont pas manqué, les dix dernières années, de recenser les diverses parutions. Des Jokers ont été attribués à la dynastie Bach (les motets) et à la musique du temps de Luther, au couplage Kerll/Fux, à l’Actus Tragicus de Bach, et à son Magnificat, accompagné du Dixit Dominus de Handel ; un Joker absolu est allé aux cantates de la famille Bach. Les autres gravures recensées ont toutes fait l’objet d’éloges. C’est dire si nous sommes en présence d’une somme de premier choix. Elle est proposée, à l’occasion de l’anniversaire, à un prix très avantageux. C’est une aubaine, car tout est à thésauriser dans cette aventure musicale de haut niveau, qui contient une série de gravures de référence. 

CD Schütz  Son : 9  Notice : 10  Répertoire : 10   Interprétation : 10

Coffret : note globale : 10

Jean Lacroix

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