Wagner au Journal télévisé

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J’ai fait un rêve ! 

Wagner était invité au journal télévisé du soir. Égal à lui-même, regardant de haut cette piétaille journalistique qui croit pouvoir condenser ses opéras en quelques minutes, lui l’inventeur de l’œuvre d’art totale qu’on voudrait soumettre aux rythmes et contraintes de la technologie moderne… Bref, ça ne s’annonçait pas bien.

La journaliste qui lui faisait face n’avait rien d’une walkyrie, plutôt mignonne, du genre fille fleur, souriante, bavarde, très bavarde même. Sans la présence de Cosima juste derrière, en coulisse, qui sait si… Mais c’est l’heure.

- Monsieur Wagner, merci d’être venu sur notre plateau pour nous parler de votre œuvre. En France, on connaît bien vos opéras dont on apprécie les dimensions à la fois physiques, intellectuelles et virtuelles, leur prolongement dans le subconscient psychanalytique des interprètes et les retombées dans la psyché des auditeurs grâce à une approche de la relation musique-scène dont vous maîtrisez comme nul autre l’impossible équilibre. Sans parler de tout ce qui se cache derrière la personnalité complexe de tous vos protagonistes. Dans une récente production de la Tétralogie, le metteur en scène Paulus Bach a enfin révélé ce que personne n’avait découvert dans votre conception dramatique des personnages, le fait que Wotan est en réalité une femme, un travesti. Ce qui permet ainsi de respecter la parité au sein de la distribution. Avez-vous souffert d’attendre si longtemps pour que vos spectateurs, vos auditeurs en aient la révélation ?

- Ach, c’est que…

La journaliste lui coupe la parole :

- … je comprends, mais Wotan devrait alors être chanté par un castrat. 

- Nein ! c’est une basse, un dieu et on ne peut…

- … naturellement, mais dans le Crépuscule des vieux il finira par perdre la partie. Revenons au début de la Tétralogie, à une autre production récente, celle de Mickey Latout qui a eu l’idée géni-â-le de convertir le métal précieux en bitcoins. Est-ce que vous percevez ce qu’une telle transaction peut apporter à votre œuvre ?

- C’est un véritable…

Elle lui coupe à nouveau la parole :
- …oui, naturellement, tout dépend du taux de conversion. Mais changeons d’approche. Dans quel état d’esprit vous trouvez-vous face à certains critiques qui parlent d’un mastic multicolore étendu presque uniformément à propos de votre orchestration ? Est-ce que vous cherchez vraiment à mêler les sons dans une grande marmite pour en extraire une potion magique sonore que seuls les orchestres germaniques savent appréhender avec cette densité inexprimable issue du houblon et de la sidérurgie ?

- Madame, je comprends mal…

- …est-il vrai qu’une même note pèse plus lourd en Allemagne qu’en France ? Est-ce que c’est l’ADN de votre musique ? 

- Vous plaisantez peut-êtr…

- …d’ailleurs, vous avez peut-être lu cette critique de Claude Aile qui définit votre musique comme un « poison qui m’a empoisonné et qui m’a laissé dans l’organisme des toxines qui ont été longues à s’évaporer. » J’adôôô-re… Pourtant, ce critique bien connu pour son sens de la démesure lorsqu’il écrit des pièces de théâtre a un point commun avec vous, c’est son rapport à la longueur.

- Mais Madame, le beau n’est jamais long.

La journaliste semble désemparée. Wagner aurait-il repris la main ?

- Le … beau… oui, je comprends (silence embarrassé). Mais je voudrais que nous parlions de ce qu’un journal italien vient de révéler, le pape aurait reçu Tannhaüser en audience privée. C’est une consécration exceptionnelle pour vous, qu’un de vos principaux chanteurs soit ainsi honoré.

- Mais, Tannhaüser n’est pas un chanteur, c’est un personnage…

- Bien sûr, bien sûr… il était dans sa zone de confort au Vatican. Mais à propos du Vatican, Gounod, dont on sait qu’il a écrit l’hymne pontifical, aurait rencontré Verdi pour avancer sur l’évolution de la conception dramatique de l’opéra. Ils n’ont pas fait appel à vous ?

- Unmöglich, ils se détestent.

- Pourquoi ?

- Gleichzeitig, au même moment, il y a longtemps, Gounod faisait l’Ave Maria et Verdi Otello.

- Naturellement, hum…, bien entendu, hum… (visage crispé de la journaliste que la caméra quitte aussitôt)… une situation difficile à gérer. Mais on pourrait penser que tous ces héros d’opéra ont en commun une approche psychologique irrationnelle qui relève de la culture profonde de chaque nation. Vos héros sont tous germaniques…

- Absolument, presque tous. Pas comme il signor Verdi et son maure de Venise. Vous verrez, il aura des problèmes (ouf, dit-il en son for intérieur, j’ai pu en placer une ! Il était temps).

- Merci monsieur Wagner d’être venu jusqu’à nous. Une dernière question. Pensez-vous qu’on puisse faire d’Isolde une infirmière qualifiée qui viendrait soigner Tristan et le sauver pour parvenir à une happy end, une transfiguration de cet amour en passant de la volupté de l’enfer à l’accomplissement total du sentiment miroir dont l’expression finale se concrétiserait dans la scène ultime, L’amour d’Isolde ?

- !!! … pardon madame, c’était quoi la question ?

Je me réveille subitement en fredonnant La Belle Hélène. Ce n’est qu’un rêve. La télé est allumée, le premier ministre menace de faire usage du 49.3 pour contrer une tentative de réduction des crédits de la culture. Aurais-je changé de rêve ?

Crédits photographiques : Wagner par IA Firefly

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