40 ans de Ricercar avec Jérôme Lejeune 

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Le label belge Ricercar célèbre ses 40 ans et à cette occasion, Jérôme Lejeune, son fondateur et directeur artistique, a été le récipiendaire d’un Prix spécial dans le cadre des International Classical Music Awards 2020. Ricercar, c’est un label d’excellence, une marque internationalement reconnue et qui nous invite toujours à de nouvelles découvertes et à sortir des sentiers battus éditoriaux. Crescendo Magazine rencontre Jérôme Lejeune que l’on retrouve en plein travail sur les oeuvres d’Andreas Hammerschmidt. 

La première question revêt un aspect purement biographique. Qu’est-ce qui vous a poussé à créer, à l’orée des années 1980, un label de musique classique ? 

C’est la concordance de plusieurs éléments et des hasards de la vie qui a rendu possible la création du label. A Liège, il y avait tout un vivier d’artistes qui avaient envie d'exister par le truchement du disque : Philippe Pierlot, Bernard Foccroulle, Philippe Boesmans et Pierre Bartholomée qui venait de prendre la direction de l’Orchestre Philharmonique de Liège. De plus, mes activités étaient à l’époque l’enseignement de l’Histoire de la musique au Conservatoire Royal de Liège et j’avais également des émissions à la radio Musiq3, et j’en suis arrivé à la conclusion qu’il existait un répertoire inédit qui méritait sa place au disque. J’ai alors contacté Pierre Gorlé du label belge Alpha (qui n’a rien à voir avec le label Alpha, filiale comme Ricercar de Outhere) pour savoir s’il n’avait pas besoin d’un jeune musicologue au titre de Directeur artistique. Cependant, ce label était un peu à la fin de son existence et aucune collaboration n’a pu naître. De fil en aiguille, l’idée de lancer une nouvelle entreprise a commencé à naître dans mon esprit. Comme j’avais un petit capital, le minimum légal pour fonder une société, je me suis lancé...

Ricercar, c’est une marque d’excellente dont chaque album, depuis 40 ans, est marqué du sceau de la qualité et de l’originalité éditoriale. Dans le même temps, d’autres labels se sont souvent fourvoyés dans l’internationalisation, mais Ricercar est resté fidèle à son ADN. Comment avez-vous fait pour conserver cette philosophie ? 

Justement, nous avons fait le chemin inverse d’autres labels. A nos débuts l’amplitude éditoriale était plus large : il y avait de la musique contemporaine avec des oeuvres de Philippe Boesmans ou d’Henri Pousseur. Avec l’Orchestre Philharmonique de Liège, on enregistrait de la musique symphonique de Villa-Lobos, César Franck, Richard Strauss et Franz Schubert dont la reconstitution de la Symphonie n°10 a obtenu un grand succès. Mais il y avait des gravures d’oeuvres baroques, et ces albums étaient salués par la critique. Au fur et à mesure, les disques d’oeuvres classiques comme les Sonates pour clarinette et piano de Brahms avec Walter Boeykens ou un Simon Boccanegra de Verdi avec La Monnaie de Bruxelles passaient inaperçus ou étonnaient les commentateurs qui nous reprochaient ces choix. L'étau s’est au fur et à mesure resserré sur les musiques de la Renaissance au XVIIIe siècle, avec un gros focus sur les oeuvres du XVIIe siècle. De plus, mon propre intérêt était porté vers les musiques des XVIe et XVIIe siècles, et en particulier les compositeurs allemands. J’avais tendance à ne pas pouvoir refuser un beau projet avec des musiques de ces époques. 

Une autre caractéristique de Ricercar, c’est l’excellence des artistes proposés au fil des disques. Que ce soit avec les pionniers ou avec des plus jeunes musiciens, cette qualité est une ligne de force du label. Comment faîtes-vous pour fédérer les artistes au fil des générations ? 

C’est un gros travail de ma part car j’aime écouter et découvrir des interprètes. Cela étant, de très bons interprètes viennent frapper à la porte de Ricercar. Il faut également considérer que la situation de la musique ancienne et baroque a évolué, et en 40 ans, le nombre de musiciens qui s’y consacrent a explosé. N'oublions pas qu’au début des années 1980, il n’y avait que 1 ou 2 musiciens en Europe qui pratiquaient certains instruments….aujourd’hui, ils sont des dizaines. Le nombre d’ensembles et de labels spécialisés a crû de manière exponentielle. Mais Ricercar maintient le cap. Les programmes des disques sont le fruit d’un échange constant avec les artistes dans une dynamique respectueuse des sources et des partitions. 

Un autre aspect de l’ADN de Ricercar est la découverte des répertoires rares ou peu parcourus. Comment découvrez-vous des oeuvres inédites ou des compositeurs sous-estimés comme l’Allemand Andreas Hammerschmidt au coeur de plusieurs albums ? 

C’est une curiosité personnelle qui me porte à être tout le temps aux aguets. Mais c’est aussi un échange avec les musiciens qui sont souvent curieux des partitions comme Nicolas Achten. Par rapport à Andreas Hammerschmidt, en effet, c’est un compositeur trop sous-estimé et je ne cesse de continuer d’explorer son oeuvre. C’est toujours un travail conséquent car il ne suffit pas de se dire qu’il faut absolument enregistrer sa musique... Peu de ces partitions ont été éditées et il est alors nécessaire de retourner aux sources originales. 

Dans le cadre des 40 ans de Ricercar, Outhere propose un plantureux coffret consacré aux Maîtres du baroque allemand. Comment s’est construit ce projet ? 

Avec mes collègues d’Outhere, on s’est dit qu’il fallait une publication particulière pour  célébrer les 40 ans du label. J’avais remis 2 projets, le premier était une anthologie des répertoires de musique ancienne avec des oeuvres très variées, mais cela aurait peut être constitué un ensemble sans trop de cohésion. Et je suis arrivé à la conclusion que nous avions si bien exploré le répertoire allemand du XVIIe qu’il fallait en faire un coffret thématique. Je suis heureux que ce coffret couvre autant d’oeuvres mais qu’il propose aussi un panorama des interprètes liés à l’histoire du label, de retrouver certains des premiers disques publiés avec Henri Ledroit ou le Collegium Vocale de Gand. J’ai eu beaucoup de plaisir à composer le coffret sur une logique orthographique dans l’agencement des compositeurs. Il y a eu une remasterisation des enregistrements, ce qui a été un travail supplémentaire. Je suis très heureux de ce coffret. 

Dans le cadre des parutions anniversaires, je remarque un album d’oeuvres contemporaines qui met en avant des partitions de Benoît Mernier, Philippe Boesmans et Bernard Foccroulle. Pourquoi un tel choix qui dénote ? 

C’est un clin d’oeil à notre histoire. Les musiciens avec qui je collaborais au début de notre aventure étaient d’une grande flexibilité musicale et ils passaient des oeuvres italiennes du XVIIe siècle au Pierrot lunaire de Schoenberg ou au Marteau sans maître de Boulez avant de donner une création contemporaine d’un compositeur belge. De plus, les compositeurs de notre temps écrivent avec régularité pour les instruments anciens, c’est presque devenu commun. La dynamique de la musique ancienne s’est également tournée vers d’autres répertoires, pensons au travail d’Harnoncourt ou Herreweghe avec des orchestres institutionnels. Au final, je me suis dit que ce projet était un clin d’oeil à mon parcours personnel et aux musiciens qui m’ont entouré dans mes années de formations, et cela compose une belle ouverture, sans frontières, entre les époques. 

Le site de Ricercar : https://outhere-music.com/fr/labels/ricercar

Propos recueillis par Pierre-Jean Tribot

Crédits photographiques : Jean-Baptiste Millot

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