Magies sonores au Festival Manca de Nice

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Le Festival Manca est un rendez-vous phare du Sud-Est de la France. Pour sa 40ème édition, la manifestation niçoise devait affronter deux obstacles de taille : le premier, l’alerte rouge aux intempéries, a provoqué le report d’un spectacle, et le second, la grève liée à la réforme des retraites, n’a en revanche entraîné aucun encombre, signe de l’engagement de la part des musiciens et du public niçois dans la création musicale contemporaine.

Grâce à une politique de partenariats, le festival a pu rayonner dans les grandes institutions de la ville (Conservatoire, Théâtre national de Nice, Opéra de Nice…) comme dans de nouveaux lieux (L’Artistique). La programmation de l’édition 2019 reste fidèle aux fondamentaux impulsés par son directeur, le compositeur François Paris. Tout d’abord, un travail sur l’électronique et la lutherie informatique réalisé au CIRM de Nice, comme en témoignait la très intrigante création de Slow Down-Stoned music de Francis Faber pour instruments numériques (répondant aux noms étranges et savoureux de seabord et sylphyo) par les étudiants du Conservatoire de Nice dirigés par Amaro Sampedro Lopez. Le concert de l’Ensemble marseillais C Barré était un modèle du genre. Le programme débutait par l’envoûtant Tombeau de Manuel de Falla composé à la mémoire de Debussy, suivi de Tellur de Tristan Murail, toujours interprété par le guitariste Thomas Keck. Ecrite en 1977, cette pièce d’obédience spectrale contourne les sons brefs et pincés de la guitare pour créer un continuum sonore grâce à la technique flamenciste du rasgueado. Le résultat, poétique et puissant, est un magnifique renouvellement des possibilités de l’instrument et un jalon majeur du répertoire pour guitare. L’Ensemble C Barré faisait ensuite entendre une disposition magnifiquement insolite : cymbalum, guitare, harpe et contrebasse. Deux pièces de jeunes compositeurs avec électronique poursuivaient l’héritage spectral puisque tous deux ont été élèves de Murail. La première, Trace – écart  de l’Espagno-Chilien Francisco Alvarado, est un laboratoire d’idées et d’envies à l’enthousiasme contagieux mais au résultat relativement impersonnel. La deuxième, du Nicaraguayen Gabriel José Bolanos, promettait de faire entendre l’environnement sonore du volcan Monbacho. Ce projet géographique intime, aux textures organiques et raffinées, est cependant contrarié par des réminiscences parfois scolaires du Boulez de Répons et du Grisey des Quatre chants pour franchir le seuil  (Berceuse). Le sommet de la soirée sera atteint finalement par l’une des œuvres qui a présidé à la création de l’Ensemble C Barré dirigé par Sébastien Boin. Première œuvre à imaginer cette disposition extrêmement originale, Sul Segno de Yan Maresz mêle une écriture soliste idiomatique pour chacun des instruments et une conduite très maîtrisée du discours, parvenant à de somptueux moments de fusion poétique. Sul Segno a ouvert de nombreuses pistes que d’autres compositeurs ont poursuivies après lui. C’est ce qu’on appelle un chef d’œuvre. 

Autre particularité de la programmation de Manca conçue par François Paris, la présence de compositeurs d’une génération souvent méconnue : celle née entre 1955 et 1965. « Coincés » entre les grands aînés spectraux et leurs cadets saturés ou bruitistes, les compositeurs et compositrices désormais quinquagénaires sont pourtant passionnants (on pense à Hurel en France, Hillborg en Suède ou Francesconi en Italie…). Héritiers des grandes utopies de Stockhausen, Xenakis ou Berio, ils partagent un amour de l’orchestre qu’ils font sonner dans une optique souvent syncrétique et généreuse. Trop méconnue en France, Ana Lara (née en 1959) offrait ainsi en création française l’impressionnant Cuando caïga el silencio à l’Opéra de Nice. En une dizaine de minutes, la compositrice mexicaine propose un nocturne au souffle ample, où passent le souvenir de chefs d’oeuvre de Lutoslawski et Penderecki. A la fois massif et foisonnant de détails, l’orchestre trace un immense horizon d’attente, peuplé d’événements souterrains, dont l’Orchestre Philharmonique de Nice ne parvient malheureusement pas à révéler toute la théâtralité. De nouveau, le Concerto pour piano n°3 de Bartok montrait les faiblesses d’un Orchestre très inégal. Le pianiste Jean-Efflam Bavouzet fait montre d’un jeu très perlé et percussif dans la partie soliste, mais des problèmes de rythme, de sonorité d’ensemble et d’articulation récurrents oblitèrent la perception de l’orchestre. La magie opère néanmoins dans l’admirable Adagio central, alors que György G. Ráth,  directeur musical de la formation niçoise depuis 2017, s’investit davantage dans les rythmes du mouvement final. En bis, Bavouzet présentait une magnifique Isle Joyeuse de Debussy, tour à tour ondoyante, nerveuse et chaleureuse. 

Le lendemain, l’opéra Les Trois Mages de l’Argentin Fabian Panisello constituait une heureuse surprise. Inspiré du livre éponyme de Michel Tournier, le spectacle narre le parcours de Gaspard, Melchior et Balthazar avant leur arrivée à Bethléem. Il y a un vrai souffle épique dans le livret et la mise en scène de Gilles Rico qui mêle récit traditionnel de la Nativité et images scientifiques (la fameuse comète que les rois mages suivent…). La langue de Tournier surprend par son classicisme et son épure d’une lisibilité de tous les instants. La musique de Panisello alterne sprechgesang, raffinement webernien, univers bruitiste, réminiscences spectrales (on pense notamment à Talea de Grisey) avec une belle efficacité théâtrale. Si on ajoute les superbes vidéos d’Etienne Guiol, sélectionnées dans la série du télescope Hubble, et le talent de la merveilleuse comédienne-chanteuse Elodie Tisserand qui parvient à merveille à caractériser les différents personnages qu’elle joue, on obtient un bel opéra de chambre atemporel, destiné à tous les publics. Dans la fosse, Fabian Panisello dirige le Plural Ensemble avec souplesse et efficacité. Une nouvelle réussite à mettre au compte du CIRM (l’une de ses récentes productions, Harriet de Hilda Paredes vient d’être nominée aux British Composer Awards, signe d’une reconnaissance internationale) et un spectacle qui offre une belle clôture à un Festival Manca de haute volée. 

Nice, les 5, 6 et 7 décembre 2019

Laurent Vilarem

Crédits photographiques : Festival Manca Nice 2019

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