Hambourg à l’orée du Baroque : Léon Berben décape une figure majeure du répertoire sacré

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Hieronymus Praetorius (1560-1629) : Magnificat 1-, 2-, 3-, 4-, 5-, 6-, 7-, 8-mi toni. Magnificat 1-mi toni [Zellerfeld Tabulatur]. Hymnes Christe qui lux es et dies ; A solis ortus cardine ; Iesu nostra redemptio ; Vexilla regis prodeunt ; Deus Creator omnium ; O lux beata trinitas ; Dies absoluti praetereunt ; Veni redemptor gentium. Christ unser Herr zum Jordan kam. Wenn mein Stündlein vorhanden ist. Léon Berben, orgues de l’église St. Laurentius de Langwarden et de l’église St. Marien de Lemgo. Livret en anglais, allemand. Mars-avril 2021. TT 78’45 + 78’42. Aeolus, SACD, AE-11311

Hieronymus Praetorius fait partie de ces lignées dont le patronyme prête à confusion. L’un de ses quatre fils porta le même prénom mais devint théologien, en revanche les trois autres (Jakob, Johann, Michael, celui-là ne sachant d’ailleurs être confondu avec l’auteur du célèbre Terpsichore Musarum) s’illustrèrent à l’orgue de même que son père Jakob (c1520-1586). Ce Jakob et le fils qui nous occupe fournissent un panorama (vocal et organistique) de la production liturgique à Hambourg à l’orée du XVIIe siècle. Hieronymus lui succéda d’ailleurs en 1586 à la tribune de la prestigieuse Jacobikirche, un poste qu’il conserva jusqu’à sa mort. L’essentiel de son legs pour tuyaux nous est connu par une tablature conservée en Suède à Visby. Ce manuscrit daté de 1611 et de la main d’un tiers (Berendt Petri) documente une rare série de Magnificat sur les huit tons (1602, un des premiers essais en cette forme dans le répertoire de l’époque) ainsi que dix-neuf élaborations sur des hymnes pour les vêpres, en accord avec la Liturgie des Heures. Les deux choralfantasien (Christ unser Herr zum Jordan kam et Wenn mein Stündlein vorhanden ist) comptent parmi les premiers exemples du genre dans la production nord-allemande. La genèse, le style et la paternité du Magnificat Germanicae influencé par Sweelinck (non inclus ici) et du Magnificat primi toni de la Zellerfeld Tabulatur sont évoqués en détail dans l’érudite notice de Matthias Schneider.

La large anthologie que l’on nous offre ici n’est que la seconde entièrement consacrée à ce compositeur, l’autre étant celle enregistrée en août 2007 par Friedhelm Flamme à la Stephanskirche de Tangermünde, également sur support SACD. La série des Magnificat et les deux fantaisies de choral apparaissent sur ces double-albums CPO et Aeolus. Léon Berben aborde huit hymnes, couvrant quelques instances du calendrier liturgique (Passion, Fête de Saint Jean Baptiste, dimanches de la Trinité après Pentecôte). L’une pour l’Avent (Veni redemptor gentium) se trouvait aussi chez Friedhelm Flamme, qui en ajoutait deux autres (Lucis Creator optime ; Veni Creator Spiritus), ainsi que diverses pièces liturgiques pour le service du soir. Bref, voilà deux réalisations arborant un important tronc commun, abondé par un programme alternatif et complémentaire.

Friedhelm Flamme optait pour un orgue aux ressources un peu plus étoffées que les deux instruments d’une vingtaine de jeux retenus par Léon Berben : celui de l’église Sainte-Marie de Lemgo (Rhénanie-du-Nord-Westphalie, 1612, reconstruit en 2008) et celui de la Laurentiuskirche de Langwarden (Basse-Saxe, 1650, restauration au long cours achevée en 2015). On aurait aimé que soient détaillées les savoureuses registrations, lesquelles nous sont toutefois indiquées comme héritées de divers traités de la Renaissance. L’ancien claveciniste de Musica Antiqua Köln, qui depuis une quinzaine d’années mène l’émérite carrière soliste que l’on sait, est le titulaire de St. Andreas d’Ostönnen, un des plus anciens orgues du monde. Il assume ses vues dans son texte de présentation, et précise les hypothèses endossées dans le silence des partitions : harmonie, répartition des voix entre clavier-pédalier, ornementation (inspirée de Regole passaggi di musica de Giovanni Battista Bovicelli)… Les mélomanes qui suivent la discographie de Léon Berben savent qu’elle ne contient guère que des sommets, de Sweelinck à Bach, de William Byrd à Joan Cabaniles. Son interprétation intensément vivante de Hieronymus Praetorius en constitue désormais un autre, fait de rigueur et pourtant de suggestivité. Agrémenté en chaque lieu d’une captation audiophile : un témoignage prioritaire pour découvrir ce corpus au seuil du Baroque.

Son : 10 – Livret : 9,5 – Répertoire : 9 – Interprétation : 10

Christophe Steyne

 

 

 

 

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