A Genève, le Beethoven de Daniele Gatti
Pour une série de trois concerts à Genève et Lugano, l’Orchestre de la Suisse Romande invite à nouveau Daniele Gatti à diriger un programme entièrement consacré à Beethoven. Tout abonné a gardé en mémoire son interprétation de la Symphonie Pastorale d’il y a trois ans. En cette fin mai, son programme comporte en premier lieu le Concerto pour violon et orchestre en ré majeur op.61 qui a pour soliste le violoniste hambourgeois Christian Tetzlaff qui en donne une lecture si particulière.
Dès les premières mesures de l’Introduction fort développée, le chef impose aux bois un ample legato sous lequel il édifie de puissants tutti qu’il contrebalance par un phrasé nuancé dont il irise les conclusions. Par une sonorité quelque peu fibreuse, le violon y répond en privilégiant les demi-teintes qu’il étire jusqu’à l’imperceptible dans un discours qu’il nous force à écouter bouche bée avant de parvenir à une cadenza qu’il veut singulière. Il y sollicite le concours des timbales pour y insuffler une fougue virtuose où les traits à l’arraché contrastent avec les pianissimi les plus délicats qui irradieront la réexposition du deuxième thème. Le Larghetto apparemment serein se voile ici d’une poésie triste dont le violon souligne le caractère désabusé que le Rondò Allegro pulvérisera en une exubérance pimentée par de granitiques doubles cordes. Devant l’enthousiasme du public, Christian Tetzlaff fait appel à ces mêmes doubles expressives dans l’Andante de la Deuxième Sonate en la mineur BWV 1003 de Bach.
En seconde partie de programme, Daniele Gatti propose la Troisième Symphonie en mi bémol majeur op.55 dite Héroïque qu’il aborde à tempo rapide, ce qui n’enlève rien à la précision du trait en des tutti effervescents s’épurant en pizzicati pianissimi pour le da capo de la première section. Il ose la véhémence des phrasés pour parvenir au paroxysme proclamé par les cuivres tout en favorisant le dialogue des bois. Sous un pianissimo recueilli il développe l’Adagio assai sans s’apitoyer sur son aspect funèbre en développant le cantabile des vents. En demi-teintes étranges prend forme le Scherzo qui finira par exploser en élans jubilatoires que tempéreront les cors du Trio. Dans cette même effervescence est élaboré le Finale utilisant l’accentuation pour accuser les contrastes dynamiques et conclure par une stretta ébouriffante qui produit un effet ravageur autant sur le public que sur les instrumentistes trépignant sur le plateau, fait ô combien rare en cette vénérable salle !
Genève, Victoria Hall, 21 mai 2025
Pierre-Jean Tribot
Crédits photographiques : Studio Pagi