A Genève, l’OSR à la veille d’une tournée
Avant d’entreprendre une tournée en Espagne qui, en l’espace de six jours, comportera cinq concerts à Madrid, Saragosse, Barcelone, Tenerife et Las Palmas, Jonathan Nott et l’Orchestre de la Suisse Romande présentent leur programme pour deux soirs au Victoria Hall.
Pourquoi commencer ledit programme avec le Clair de lune de Claude Debussy ? Cette page extraite de la Suite bergamasque pour piano a été orchestrée par André Caplet en 1924 et inclut les cordes, la harpe, les bois par deux et deux cors. Mais ici, vraisemblablement à peine répétée, elle tient lieu d’amuse-bouche insipide avec des bois filandreux en quête d’intonation dominant un crescendo des cordes démesurément grossi pour dépeindre un clair de lune avant de le diluer en un arpège anodin. Auraient produit un tout autre effet des pièces peu prisées comme la Marche Ecossaise, la Berceuse héroïque, la Danse /Tarentelle styrienne ou même le Prélude à l’Après-midi d’un Faune, surtout lorsqu’il s’agit de présenter un tel programme à l’étranger !
Heureusement, la formation au grand complet, comprenant notamment 40 cordes et 8 cors, s’amasse sur le plateau pour présenter un ouvrage inscrit dans son ADN, Le Sacre du Printemps d’Igor Stravinsky. Jonathan Nott laisse le champ libre au basson qui semble improviser avant de dialoguer avec les bois dont il se plaît à détailler les timbres. Apparaissent les Augures printaniers avec leurs accents syncopés sur les accords pesants des cordes amenant les adolescentes à une euphorie qu’envenimera le Jeu du rapt par ses cinglants éclats. Les Rondes printanières étirent singulièrement les lignes des seconds violons et des viole ponctuées par la grosse caisse, les timbales et le tam-tam. Le Jeu des cités rivales suscite une véhémence sauvage qui progresse inexorablement jusqu’à la venue du Cortège du sage, stase étrange rapidement étouffée par la Danse de la terre, virulente au point d’arracher l’accord conclusif. La seconde partie prend une dimension lancinante par les quatre viole désabusées affleurant de la profondeur des basses d’où émergera ensuite le Cercle mystérieux des adolescentes avec ses cordes plaintives soutenues par les cuivres en sourdine. La Glorification de l’élue ramène de massifs tutti zébrés par les glissandi des bois qui se chargeront d’évoquer ensuite le hiératisme des ancêtres. Mais une trompette stridente propulsera la Danse sacrale d’une sauvagerie extrême jusqu’à l’ultime trait ascendant des flûtes et le brutal accord conclusif qui déclenchera à bon escient l’enthousiasme du public. Il est vrai que ce Sacre constitue le point fort de ce programme exhaustif.
En seconde partie intervient la violoniste japonaise Midori devenue célèbre en 1982 alors qu’à l’âge de onze ans, elle débuta au Concert du Nouvel An donné par le New York Philharmonic dirigé par Zubin Mehta. Aujourd’hui avec quarante ans de carrière à son actif, elle revient à l’un de ses chevaux de bataille, le Concerto en ré mineur op.47 de Jean Sibelius. Sur un canevas presque immatériel des cordes, elle construit son solo dont elle privilégie le caractère élégiaque puis profite de la première cadenza pour se fabriquer un son qu’elle voudrait pathétique. Mais elle ne parvient pas à lui donner une consistance et une ampleur face à de pesants tutti. Dans l’Adagio di molto elle ne se départit pas de cette sonorité feutrée cultivant les demi-teintes qu’engloutissent les vents trop présents. Il faut en arriver au Final pour que l’exubérance des traits virtuoses l’impose par rapport à un orchestre mieux fusionné qui sait se mettre en retrait alors qu’elle fait chanter ses doubles cordes. Mais le brio de l’ensemble produit l’effet escompté sur les spectateurs qui applaudissent généreusement, ce qui incite Midori à proposer en bis un Presto de la Première Sonate de Bach volubile à défaut de rigueur stylistique… Plutôt décevant !
Genève, Victoria Hall, concert du mercredi 5 février 2025
Crédits photographiques : Magali Dougados