Le huitième volet du Projet Stradella de l’Ensemble Mare Nostrum est un enchantement

par

Un angelo del Paradiso. The Orrigoni Songbook. Alessandro Stradella (1639-1682) : Arias et pages instrumentales. Silvia Frigato, soprano. Ensemble Mare Nostrum, direction Andrea De Carlo. 2021 et 2023. Notice en anglais, en français et en italien. Textes chantés insérés, avec traductions anglaise et française. 67’ 40’’. Arcana A571.

La vie d’Alessandro Stradella, né à Nepi, près de Viterbo, dans le Latium, a été tumultueuse. Libertinage, scandales, délits criminels, fuites, ont jalonné une existence qui s’est achevée de façon tragique : le compositeur, âgé d’à peine 43 ans, a été assassiné, à Gênes, victime d’une vengeance. Ces péripéties ont inspiré un passionnant roman au musicologue Philippe Beaussant (Gallimard, 1999) et, au XIXe siècle, des opéras aux compositeurs Friedrich von Flotow, Louis Niedermeyer et Giuseppe Sinico. Ainsi qu’au jeune César Franck ; l’Opéra Royal de Wallonie l’a programmé pour sa réouverture en 2012.  Stradella, qui s’est beaucoup déplacé en raison de sa vie dissolue, a exercé son art à Bologne, à Rome ou à Venise pour aboutir à Gênes ; il a laissé un vaste catalogue lyrique et instrumental, très remarquable. Depuis 2014, l’Ensemble Mare Nostrum, a entrepris un « Stradella Project », dont sept volumes dédiés à l’opéra et à l’oratorio ont déjà paru. Avec un indiscutable succès. Dans la foulée, un Festival Stradella a été instauré sur les terres natales du compositeur.

Voici le huitième album de la série, dirigé par Andrea De Carlo, dont le parcours musical est peu courant : il a été d’abord bassiste de rock avant de se tourner vers le jazz et le funky, puis d’occuper le poste de contrebassiste dans l’orchestre du Teatro Massimo de Palerme. Il fonde en 2005 la formation romaine Mare Nostrum, qui se consacre bientôt exclusivement à Stradella, avec l’ambition d’enregistrer la totalité de sa musique. Ce nouvel album est un hommage à un des grands chanteurs du XVIIe siècle, le castrat Marc’Antonio Orrigoni, dont on ne connaît pas avec précision les dates de naissance et de décès, mais dont on sait qu’il fut au service du duc de Modène au cours des années attestées entre 1677 et 1702. En exergue de l’érudite notice de Lucia Adelaïde Di Nicola, on trouve un extrait d’une lettre de Stradella à son mécène, dans laquelle il écrit au sujet d’Orrigoni : il a récité et récite comme un ange du paradis. Titre tout trouvé pour ce programme qui propose, en vingt-six plages, une douzaine d’airs chantés, tirés d’opéras et de l’oratorio Susanna, ainsi que des intermèdes instrumentaux, confiés à un effectif réduit. Il est conseillé de lire cette longue notice de la musicologue italienne, qui cerne bien le personnage du chanteur et ses liens avec Stradella. 

Il s’agit donc ici d’un parcours imaginaire (Orrigoni Songbook) destiné à mettre en valeur diverses facettes de l’art du castrat, agrémentées par des pages instrumentales intercalées, issues de symphonies et de ballets, dont on savoure à chaque fois l’inspiration, l’aspect festif, la dynamique et l’inventivité, caractéristiques servies par des pupitres investis et attentifs à un remarquable équilibre de l’articulation. Les airs chantés sont confiés à la soprano Silvia Frigato, qui s’est spécialisée dans la musique baroque sans négliger des œuvres plus récentes. Après avoir étudié à Modène avec Raina Kabaivanska, puis à Sienne, Sofia, Ambronay et Milan, elle a participé à maintes aventures musicales avec Rinaldo Alessandrini, Andrea Marcon, Fabio Biondi, Ottavio Dantone ou John Eliot Gardiner.  Elle enseigne aussi au Conservatoire « Santa Cecilia » de Rome . Chacune de ses interventions est marquée du signe de la clarté et de la souplesse. Aigus aisés non forcés, accents justes aussi bien dans l’héroïsme guerrier que dans la passion amoureuse, dans la tragédie que dans des moments plus légers, elle illumine ce programme exaltant et raffiné, qui atteint des sommets de virtuosité dans des arias des opéras La forza dell’amor Paterno et Il Trespolo tutore, montés à Gênes à la fin des années 1670, ou dans l’oratorio Susanna. Difficile de résister, dans la seconde œuvre lyrique citée, à l’émouvant aveu : È amor nel nostro seno/medicina dell’alme e non veleno (L’amour est dans notre sein/médecine des âmes, et non un venin). 

L’Ensemble Mare Nostrum, mené par Andrea De Carlo, très engagé, offre aux pages de Stradella un écrin cent fois mérité, qui met en évidence les qualités exceptionnelles d’une musique jubilatoire. 

Son : 9    Notice : 10    Répertoire : 10    Interprétation : 10

Jean Lacroix

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.