Frédéric Grün et Akane Sakai à propos du coffret “Rendez-vous avec Martha Argerich” 

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Les coffrets discographiques édités autour des projets de Martha Argerich sont depuis toujours des événements éditoriaux attendus des mélomanes du monde entier. Dès lors, le milieu musical fut surpris quand le label belge Avanticlassic annonça la parution d’un box regroupant des enregistrements captés au Festival Martha Argerich à Hambourg en 2018. Crescendo Magazine vous propose une rencontre avec Frédéric Grün, directeur du label et Akane Sakai, programmatrice du festival hambourgeois

Alors que les précédents projets de Martha Argerich (comme ceux à Lugano) étaient traditionnellement édités par Warner, l’arrivée de ce coffret chez un éditeur “boutique” comme votre label, comme le dit un confrère anglais, a été l’un des événements marquants de l’été ? Comment ce projet est-il arrivé chez Avanti Classics ? 

F.G. J’ai véritablement fait la rencontre de Martha Argerich quand, pour son premier album chez Avanticlassic en 2004, Polina Leschenko lui a proposé d’enregistrer la transcription pour deux pianos de Rikuya Terashima de la Symphonie Classique de Sergeï Prokofiev et que Martha a accepté. Cette séance d’enregistrement a été l’un des plus beaux jours de ma vie. Ensuite, les choses se sont faites naturellement. Martha et moi avons gardé le contact et, petit à petit, nous sommes devenus amis. Elle occupe aujourd’hui une place centrale dans ma vie.

Depuis ce jour de 2004, Martha accepte d’enregistrer pour Avanticlassic. Elle a réalisé un merveilleux récital avec Dora Schwarzberg et elle a même enregistré une chanson Yiddish sur l’album de Myriam Fuks. 

Lorsqu’en 2018, elle a décidé de lancer son nouveau festival avec Akane et Daniel Kühnel, l’intendant de l’Orchestre Symphonique de Hambourg, j’ai souhaité en réaliser les enregistrements et ils m’ont donné leur accord. 

C’était un énorme challenge pour Avanticlassic. Le Festival de Lugano était organisé en partenariat avec la Radio Suisse Italienne qui accueillait une grande partie des concerts dans son studio, fournissait le matériel d’enregistrement et les équipes et réalisait l’ensemble des enregistrements que Warner publiait. A Hambourg, Avanticlassic a assuré l’ensemble des moyens techniques et humains pour réaliser les enregistrements. Un formidable défi pour nous.

L’affiche est gargantuesque ! Comment avez-vous convaincu les artistes -et non des moindres !- d’accepter une parution de concerts, par essence moins “fignolés” que des captations de studio ? 

A.S. Personnellement, j’adore écouter les enregistrements live. Il s’y passe des choses inattendues… Il y a des prises de risques, des idées qui surgissent… C’est passionnant.

Convaincre les artistes de participer à notre festival, ce n’est pas difficile car c’est une chance extraordinaire pour eux de pouvoir partager la scène avec Martha, d’être avec elle, même de simplement l’écouter. C’est très spécial. Il y a aussi cet esprit de musique en partage qui nous donne beaucoup d’inspiration et de liberté. Et c’est une superbe idée d’enregistrer ces moments si spéciaux. 

Un tel projet présume l’écoute et la sélection des différentes bandes de concerts ! Comment avez-vous opéré cette sélection ? 

F.G. C’est le travail d’une année complète. Nous enregistrons les concerts mais aussi les répétitions. Cela nous fournit du matériel supplémentaire pour couvrir les inévitables aléas des concerts. Si les artistes se disent heureux de leurs interprétations, nous réalisons un premier montage que nous leur soumettons et chacun propose les modifications qu’il ou elle souhaite. En fonction du matériel disponible, nous tentons d’accéder à leurs désirs autant que possible. Si le montage est concluant, nous effectuons une balance que nous soumettons une nouvelle fois à l’artiste. Et ce jeu de ping-pong continue jusqu'à ce que tout le monde soit satisfait. 

C’est un processus assez long et fastidieux avec un objectif : le respect de la volonté de l’artiste. Si un musicien estime qu’il n’est pas en forme lors d’un concert, il vaut mieux ne pas publier l’enregistrement. Le but, c’est de lui faire honneur.

Quels sont les défis techniques et logistiques liés à la parution d’un tel coffret ? 

F.G. Il faut réunir deux conditions. D’abord, il faut pouvoir s’entourer d’une équipe technique à la fois passionnée, extrêmement motivée, flexible et à l’écoute des artistes. Enregistrer un festival demande une énorme préparation. Chaque changement de scène doit être anticipé sur plan pour ne pas faire d’erreur et prendre un minimum de temps. Dans le cas du Festival Martha Argerich, nous devions réaliser près de 100 changements de “setting” en un temps minimal… Et les modifications de dernière minute sont nombreuses et soudaines. Il faut une équipe chevronnée.

Ensuite, il faut pouvoir compter sur une collaboration pleine et entière de l’artiste. C’est lui qui, en fin de course, doit nous donner son feu vert. 

J’ai été très heureux que tout se passe avec beaucoup de sérénité. Et je ne remercierai jamais assez Bastien Gilson, l’ingénieur en chef et directeur artistique du projet, qui y a mis toute son énergie et tout son savoir. Il n’a souvent dormi que 4 heures…  

Pour être honnête, j’espérais sortir ce coffret avant l’édition 2019 du Festival de Hambourg. A la base, je souhaitais un coffret de trois ou quatre CD. Mais lorsque nous avons fait le tour des trésors amassés, je n’ai pas eu le cœur de supprimer certains enregistrements et j’ai choisi d’étendre le nombre de CD et de retarder la sortie jusqu’á tout soit prêt et approuvé.

Comment le choix des répertoires proposés dans ce coffret s’est-il effectué ? 

A.S. En tant que programmatrice du Festival Martha Argerich, mon premier objectif est que soient joués les compositeurs centraux dans la vie de Martha comme Prokofiev, Schumann ou Beethoven. 

Ensuite, je cherche à tisser de nouveaux liens entre les artistes, à initier de nouvelles collaborations. Ainsi, c’était la première fois que Martha accompagnait Thomas Hampson dans les Dichterliebe, un cycle qu’elle n’avait jamais joué dans son intégralité. Et il y a d’autres premières collaborations : Tedi Papavrami et Akiko Suwanai, Evgeni Bozhanov et Geza Hosszu-Legocky… Et pour finir, comme l’année passée célébrait l’anniversaire de Debussy, nous lui avons rendu hommage aussi.

Pouvez-vous nous parler de l’acoustique de la salle Laeiszhalle de Hambourg ? 

A.S. Il y a deux salles à la Laeiszhalle. La grande est belle et sonne magnifiquement. Martha y est très attachée. C’est là que fut capté, entre autres, le dernier enregistrement de Vladimir Horowitz. La petite salle, plutôt moderne, demande plus d’attention, notamment pour les 2 pianos. Mais nous avons trouvé des solutions grâce à notre cher Bastien.

Est-ce que vous avez prévu d’éditer d’autres disques liés à ce projet de Martha Argerich ? 

F.G. Oui, nous avons enregistré le Festival 2019, et un autre volume sortira donc certainement. 

 Avanticlassics est désormais un label installé dans le paysage discographique. Dans un marché difficile, comment voyez-vous les évolutions futures du label ? 

F.G. Je lis souvent dans la presse que le CD est mort, que la musique classique est moribonde. Il est exact que les ventes ne sont pas bonnes. Mais le modèle évolue et il est possible de trouver des partenariats qui permettent de conserver une trace de l’art, d’artistes ou de répertoires qui méritent d’être accessibles au plus grand nombre et disponibles pour les générations futures.  Certaines entreprises, certains mécènes nous permettent de poursuivre notre mission.

Le site d'Avanticlassic : http://www.avanticlassic.com/

Crédits photographiques :  DR / Yoshie Kuwayama

Propos recueillis par Pierre Jean Tribot

 

     

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