À Genève, un Chamber Orchestra of Europe mi-figue mi-raisin
Pour la première fois, le Chamber Orchestra of Europe est l’invité du Service Culturel Migros pour deux concerts à Genève et à Zürich. La formation a été créée en 1981 par d’anciens membres de l’Orchestre des Jeunes de l’Union Européenne. L’un d’eux déclare : « C’est comme un bus qui n’aurait que des sièges de chauffeur sans avoir de place pour les passagers ».
Et cela s’entend dans les tutti du Troisième Concerto pour violon et orchestre en sol majeur K.216 de Mozart, tant les hautbois, flûtes et cors par deux s’en donnent à cœur joie dans un continuel ‘forte’ qui alourdit le canevas, tandis que Leonidas Kavakos, relevant de maladie, semble-t-il, produit un son émacié qui s’épanouira quelque peu dans la première ‘cadenza’. Une fois de plus, il faut soulever le problème du soliste à double casquette, voulant diriger tout en jouant ; et une fois de plus, le résultat n’est pas convaincant. Sur un soutien plus aseptisé, l’Adagio prône la noblesse de ligne dans une méditation dépourvue de souffle tragique, alors que le finale trouve un certain équilibre dans un rondeau au caractère alerte. En bis, le violoniste propose une transcription de Recuerdos de la Alhambra de Francisco Tarrega où se révèle son indéniable maîtrise technique.
Dans la même esthétique est présentée l’Eroica, la Troisième Symphonie en mi bémol majeur op.55 de Beethoven, avec une formation de chambre incluant seize premiers et seconds violons, quatre alti et quatre violoncelles, trois contrebasses, les bois par deux, trois cors, deux trompettes et les timbales. À l’Allegro con brio initial, Leonidas Kavakos imprime un tempo ‘alla garibaldiana’ suscitant de véhéments contrastes par des effets de vagues qui culminent en de cinglants tutti. La Marcia funebre, plutôt allante, manque singulièrement d’épaisseur dramatique en produisant une sonorité astringente qui finit par lasser. Cependant, le scherzo trouve une meilleure assise grâce à ses cordes serpentant dans un pianissimo inquiétant que rasséréneront les trois cors, tandis que le finale joue sur l’opposition des blocs sonores dans une dynamique soutenue.
Entre ces deux œuvres aussi rabâchées que célèbres, l’ensemble avait proposé une page pour orchestre à cordes d’Othmar Schoeck, Sommernacht, qui constitue la gemme de ce programme. Ecrite en 1945 par le compositeur schwyzois, elle s’inspire d’un poème de Gottfried Keller évoquant une tradition alpine selon laquelle de jeunes campagnards vont nuitamment moissonner les champs de blé appartenant à des veuves ou à des orphelins qui ne sont pas en mesure d’effectuer ces travaux. Selon une composition en arche, de mystérieuses cordes brossent un tableau élégiaque ; la tendresse y a des relents déchirants en une ‘hyperexpressivité ‘ qui finira par s’alléger, lorsque les deux violons solistes lui insuffleront une effervescence dansante. Par d’étranges suraigus pactisant avec la nuit noire s’achève cet intermède pastoral qui vous fait admettre qu’il valait la peine d’assister au concert.
Genève, Victoria Hall, 9 avril 2019
Paul-André Demierre
Crédits photographiques : : Marco Borggreve