A Genève, un concert OSR marqué par un deuil   par Paul-André Demierre  

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Un orchestre vit parfois de douloureux moments. Tel est le cas de l’Orchestre de la Suisse Romande qui, le dimanche 14 avril, a été confronté à la disparition de l’une des violoncellistes, Caroline Siméand Morel, victime d’une rupture d’anévrisme cérébral à l’âge de 48 ans, laissant derrière elle un époux, Olivier Morel, lui aussi violoncelliste de l’OSR, et une fille de 11 ans. Et c’est à sa mémoire que sont dédiés les concerts des mercredi et jeudi 16 et 17 avril qui sont placés sous la direction de la cheffe hongkongaise Elim Chan, première femme à avoir remporté la Donatella Flick Conducting Competition en 2014.

Dans une ambiance chargée d’une lourde émotion, le programme commence par une page de la compositrice américaine Elizabeth Ogonek, actuellement professeur de composition à la Eastman School of Music de Rochester, All These Lighted Things. Cette suite de trois danses a été créée en 2018 par Riccardo Muti et le Chicago Symphony Orchestra. La première, Exuberant, Playful, Bright, baigne dans une atmosphère empreinte de mystère par les cordes soutenant le dialogue des bois et cuivres ponctué par une percussion brillante, avant de reprendre la primauté dans Gently, Drifting, Hazy éthéré se développant en éventail de sons étranges. Sur un pizzicato des cordes graves, Buoyant a la véhémence d’un fugato débridé que finit par dominer le péremptoire choral des vents.

Intervient ensuite Renaud Capuçon que l’on entend régulièrement ici mais qui se fait l’interprète d’une œuvre rare, le Concerto pour violon et orchestre en ré mineur op.8 écrit par un Richard Strauss qui avait 17 ans en 1881 et qui tint la partie de piano lors de la création du 5 décembre 1882 en la Salle Bösendorfer de Vienne, alors que Benno Walter, son cousin et son professeur de violon, en assumait la partie soliste.  La création de la version orchestrale n’aura lieu qu’en 1890 à Leipzig sous l’archet d’Alfred Krasselt. De cet ouvrage dont le compositeur se désintéressera rapidement, Renaud Capuçon se fait le défenseur en répondant au pathétique de l’introduction par un cantabile nuancé auquel il sait donner ampleur en faisant sourdre une généreuse émotion qui se pare d’inflexions lancinantes dans le dialogue avec cor que produit le Lento.  Le Final sacrifie à la virtuosité brillante par des traits en cascades que le soliste inscrit dans un lyrisme généreux bannissant l’effet factice. En bis, manifestement bouleversé par le douloureux moment, Renaud Capuçon développe avec une sobriété extrême une page peu connue de Richard Strauss, la Daphne-Etude en sol majeur inspirée d’u motif de l’opéra Daphne.

En seconde partie, Elim Chan propose des extraits des deux suites tirées du ballet Roméo et Juliette de Sergei Prokofiev, suites qui ont été élaborées avant la création de l’ouvrage à Brno en décembre 1938. Profitant de la vaste formation mise à sa disposition, le jeune cheffe recherche la véhémence des contrastes dans des Capulets et Montaigus aux tutti fracassants sollicitant délibérément les cuivres pour écraser les cordes, laissant néanmoins indemnes flûte et hautbois qui s’accorderont pour évoquer une Juliette enfant avec ses élans primesautiers.  En tons feutrés, basson et cordes suggèrent la bienveillance du Frère Laurent dont se gaussent les Masques affichant une verve sarcastique. Sur un canevas en demi-teintes, les violoncelles dépeignent la Scène du balcon en un madrigal expansif qui tourne à l’exagération avec des tutti vrombissants qui épouvanteraient n’importe quel couple de tourtereaux. La Mort de Tybalt exacerbe les coloris qui s’animeront d’incandescence désespérée alors que Roméo pleure sur la  tombe de Juliette, laissant aux violons dans l’extrême aigu le soin de s’apitoyer sur cette fin tragique. 

Elim Chan se raidit devant son pupitre, imposant une minute de silence, tandis que le pupitre des violoncelles laisse perler les larmes et que le public médusé fixe cette rose blanche encastrée au milieu du plateau … 

Genève, Victoria Hall, mercredi 16 avril 2025

Crédits photographiques :  Dougados Magali

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