Dalia Stasevska sculpte l’Orchestre de Paris dans un programme américain
Cheffe parmi les plus sollicitées de la scène actuelle, Dalia Stasevska était jusqu’alors peu présente en France. C’est donc une excellente occasion de la connaître davantage lors de deux concerts donnés par l’Orchestre de Paris les 20 et 21 novembre derniers. C’est avec son énergie communicative qu’elle a dirigé un programme mêlant les cultures des États-Unis et de l’Europe, autour des œuvres de Caroline Shaw, Leonard Bernstein et Antonín Dvořák.
Principale cheffe invitée de l’Orchestre symphonique de la BBC et habituée des grandes salles et formations internationales, notamment le Philharmonique royal de Stockholm lors de la cérémonie du prix Nobel en décembre 2018, Dalia Stasevska a confirmé sa réputation lors de la soirée du 21 novembre à la Philharmonie de Paris. Dans le cadre de la série de concerts consacrée à Caroline Shaw, Observatory a été présenté en création française. Inspirée par l’Observatoire Griffith auquel son titre fait référence, l’œuvre mêle des éléments variés : accords dissonants en tutti au début de la pièce, motifs courts et répétitifs, séquences rythmiques variées, et un jeu de timbres riche, mettant en avant le piano et les métallophones. Des citations de Bach, Brahms, Strauss ou Sibelius jalonnent cette partition, affirmant son ancrage dans le patrimoine musical. Par des gestes précis et souvent empreints de vigueur, Dalia Stasevska façonne chaque composante de cette œuvre hétérogène, parvenant à lui insuffler une cohérence remarquable.
La cheffe finlandaise fait encore preuve de cette approche dans la Sérénade pour violon et orchestre d’après Le Banquet de Platon de Leonard Bernstein. En cinq mouvements, cette œuvre que le compositeur considérait comme un « concerto pour violon » plutôt qu’une sérénade, se déploie à la manière d’un discours entre interlocuteurs, dans un dialogue musical continu. Renaud Capuçon, en soliste, imprime à son jeu un son généralement nerveux et parfois incisif, particulièrement efficace dans les passages frénétiques et belliqueux. À l’inverse, un duo avec le violoncelle révèle une expressivité dominée par le pathos. La richesse des contrepoints, qui réorientent constamment le cours de la partition, exige une attention soutenue, et Dalia Stasevska excelle dans l’art de transformer les couleurs et les atmosphères, adaptant avec finesse chaque transition.
Dans la deuxième partie du concert, Dalia Stasevska dirige la Symphonie « du Nouveau Monde » d’Antonín Dvořák avec la même maîtrise. Le premier mouvement, vif et revigorant, ouvre la voie à un deuxième mouvement où le thème principal s’épanouit dans une ampleur nostalgique. Le développement, d’une fluidité organique, met en valeur la richesse sonore des cordes jouant en sourdine, créant une texture d’une grande délicatesse. La cheffe explore avec soin les nuances de chaque phrasé, trouvant pour chacun la sonorité la plus juste, ce qui accentue l’impact émotionnel de la symphonie. Le scherzo, rapide et vigoureux, respecte pleinement l’indication « molto vivace ». Toutefois, au moment des modulations en majeur, elle prend le temps, laissant à l’atmosphère le temps de se transformer. Le final, empreint d’énergie et de détermination, fait ressortir un caractère résolument vaillant.
Les variations de tempo sont introduites avec une précision et une logique naturelles, renforçant l’élan progressif de l’œuvre. À mesure que la musique atteint son apogée, l’auditoire est porté par une exaltation en parfaite harmonie avec le rythme des interprétations. Comme une sculptrice, Dalia Stasevska donne vie à chaque instrument, assemblant ces sonorités en un tableau polychrome vibrant. Cette performance laisse espérer de nombreuses futures explorations d’autres répertoires sous sa direction.
Paris, Philharmonie, le 21 novembre 2024
Crédits photographiques : Veikko Kähkönen