Patrick Davin dirige Dupont avec l’OPRL

par

Le chef d’orchestre Patrick Davin, au pupitre de l’Orchestre philharmonique royal de Liège publie un disque consacré au compositeur français Gabriel Dupont (Fuga Libera). À cette occasion, le chef nous parle de ce compositeur et de sa place dans l’histoire de la musique.

 Comment est né le projet d’enregistrer des oeuvres de Gabriel Dupont ? Comment avez-vous découvert ce compositeur ?

 Le projet initial vient de Jérôme Lejeune qui est souvent partie prenante dans les premiers enregistrements de compositeurs. Il est toujours habité par cette soif de découvrir autre chose. C’est lui qui a proposé ce projet dédié à Gabriel Dupont. Il se fait que, tout à fait par hasard, j’ai une tradition d’enregistrement avec l’Orchestre philharmonique royal de Liège. J’avais déjà entendu le nom de Gabriel Dupont et plus particulièrement les Heures dolentes dont je connaissais la version pour piano. Je ne savais pas qu’il y avait aussi ces orchestrations et encore moins qu’il y avait une pièce orchestrée par quelqu’un d’autre. Je connaissais Gabriel Dupont de nom depuis 30 ans, grâce au pianiste Daniel Blumenthal qui m’en avait parlé au moment de l’enregistrement de ses œuvres pour piano. Maintenant, les Heures Dolentes ont été plusieurs fois reprises au disque. Je pense qu’à l’époque où Daniel Blumenthal l’a enregistré pour Cybelia, c’était une rareté. Cela m’avait intéressé mais plutôt « d’une manière désincarnée » car je n’en connaissais que la version pour piano.

Dans l’ensemble, le projet de Jérôme Lejeune m’a beaucoup impressionné mais également l’orchestre : non seulement c’est beau et intéressant, mais j’étais surtout subjugué de me rendre compte qu’il y avait un véritable corpus d’œuvres avec pas seulement une pièce formidable, « coup de chance », mais plusieurs chefs-d’œuvres.

Quelles sont les caractéristiques stylistiques de ce compositeur ?

C’est une période passionnante à laquelle je me suis beaucoup intéressé. Juste avant de quitter mon poste de directeur musical à l’Orchestre de Mulhouse -avec lequel j’ai travaillé pendant 6 ans, j’ai enregistré des pièces d’un compositeur un peu similaire à Gabriel Dupont : Léon Boëllmann, un organiste français plutôt « franckiste ». J’ai toujours été plus séduit par les suiveurs de César Franck que par Franck lui-même. C’est un grand compositeur mais tous ses successeurs, ses élèves directs ou indirects, qui sont d’ailleurs aussi dans l’ombre du grand Wagner, m’attirent bien plus !
Avec Gabriel Dupont, je découvre que c’est un vrai mélange, encore mieux que César Franck : tradition française au niveau de l’écriture et goût pour une espèce de transparence à certains moments, même si il s’éloigne parfois de la tradition française comme dans le « Chant de la Destinée »). Dans la démarche, même si l’harmonie n’a rien à voir, on n’est pas loin de Scriabine avec des saturations permanentes de l’écriture. Enfin, il y a le “coup de poing” qu’à représenté chez ces compositeurs la découverte de l’harmonie et de la tonalité wagnérienne. Même si Dupont compose à une époque où la germanophilie musicale est très suspecte du fait de la défaite française de 1870, cela n’empêche un artiste français de s’intéresser à la musique allemande !

Comment Dupont s’insère-t-il dans son temps ?

Si on se réfère aux dates de sa vie (1878-1914), c’est une période “Fin de siècle” qui s’inscrit dans une charnière majeure de la musique et des arts. La musique qu’il écrit en 1914 correspond à l’époque du Pierrot lunaire (1913) et du Sacre du Printemps (1913). Mais il n’est pas réellement dans le temps des révolutions qui arrivent : il ne faut pas oublier qu’il est malade de la tuberculose. Par contre, est-il dans un temps « debussyste » ou « fauréen » ? Non, pas tout-à-fait ! Il est vraiment dans une prolongation du temps « franckiste ». César Franck meurt en 1890 et Dupont se rapproche des compositeurs comme Ernest Chausson dont il est une prolongation. Le fait de décéder en 1914 lui interdit de regarder vers le XXe siècle, a contrario d’un Debussy ! C’est un grand rejeton du romantisme à la française, du « wagnérisme » à la française tout en ayant l’harmonie, les tonalités, et le contrepoint qui n’est pas l’apanage des français normalement ; mais il y a aussi le phrasé individuel de chaque ligne qui reste français, avec un certain goût pour la transparence, pour la clarté.

Comment avez-vous sélectionné les œuvres présentées sur cet album ?

Pour le choix de l’ordre des pièces, on a veillé à trouver des échos avec la vie de Gabriel Dupont. Car il y a une parenté avec Proust, d’ « une vie avec la maladie ». Gabriel Dupont a vécu avec la maladie, il a souffert de sa santé, exactement comme Proust.  Et ça colore certaines de ses œuvres, telles que Les Heures dolentes, des heures de souffrances. Evidemment, cela ne l’empêchait pas de connaître d’autres influences, à cent lieues de ses souffrances, ni de vivre des heures plus heureuses, poétiques et souriantes. On ne peut pas nier l’influence de Chabrier, compositeur très fin et très élégant qui est le contraire de la souffrance ! Il admirait cette manière d’écrire, cette clarté, cette lumière. La pièce qui est au centre du disque, c’est Jour d’été. Au départ, nous voulions commencer le disque par cette pièce puis Jérôme Lejeune s’est ravisé car elle donne une fausse image du compositeur, elle ne reflète pas les œuvres Gabriel Dupont et fait plutôt penser à Chabrier. C’est une sorte d’exception. Jour d’été est une pièce beaucoup plus souriante, même si les techniques d’écritures sont les mêmes. Il a préféré commencer par Les Heures dolentes et finir par la grande pièce Le Chant de la Destinée.

On lit dans la notice de présentation qu’Edgar Varèse était un défenseur du Chant de la destinée. Qu’est-ce qui pouvait attirer le compositeur d’Amériques dans l’œuvre du Dupont ?

Dans Le Chant de la Destinée, il y a une présence, une couleur, une utilisation des masses, de l’harmonie qui devient irradiante. Comparé à Varèse, Gabriel Dupont prend un accord et il le travaille. Ce n’est plus un accord qui devient la base d’un enchaînement d’accords ; lui, il creuse et bombarde une note jusqu’à en faire éclater la substance. Dupont l’illustre au niveau des masses orchestrales, des accords et cela nous permet de voir tout le potentiel, toute la force d’un accord. On se rapproche très fort de Varèse ! Il en fait éclater la structure, c’est proche de Xenakis. Il oppose des masses, des formes. Il arrive à un art brut mais en même construit pour en aboutir à une juxtaposition. Au lieu de l’art de la métamorphose et de la fluidité, c’est l’art de l’opposition, de la juxtaposition des forces ! C’est la terre ! C’était ambitieux de la part de Dupont, de l’appeler Le Chant de la Destinée, un peu comme Varèse pour Amériques. Cette pièce a une vocation globale, globalisante, terrestre et tellurique.

 Voyons l’impression qu’un objet fait sur nous ? Quand Debussy écrit la Mer, il essaye de rendre en musique l’impression que l’on peut ressentir quand on est face à elle. Pour parler en « impressionniste », devant Le Chant de la Destinée, on est comme bouleversé et imprégné par ce grand colosse. L’émotion que l’on va ressentir devant cette œuvre est proche de celle que Varèse va développer. Evidemment avec des moyens très différents, tant au niveau des moyens harmoniques, qu’instrumentaux et orchestraux. Il n’y a plus de tonalité mais l’impression est similaire, c’est le même choc émotionnel.

Allez-vous poursuivre les explorations de compositeurs oubliés ?

Cela dépend des projets que je reçois ! Ce n’est pas comme dans la musique ancienne dont le but est d’exhumer des répertoires oubliés ! Travailler sur des compositeurs oubliés, c’est quelque chose qui me passionne mais il faut trouver l’opportunité. Je travaille dans beaucoup de catégories différentes, comme l’opéra ou le symphonique. Je viens d’aborder la Damnation de Faust de Berlioz. Je n’aborde pas ce compositeur d’une manière radicalement différente du Chant de la Destinée. Même si on connaît ce répertoire, quand il s’agit de le travailler, c’est tout à fait différent ! Pour le moment, je suis en train de diriger mon premier Enlèvement au Sérail de Mozart à Monte-Carlo. Je crois connaître le compositeur mais, en fait, je me rends compte que non. Le Mozart de l’Enlèvement au Sérail n’est pas celui de la maturité ! Le style classique n’est pas encore abouti et il est encore l’héritier de toute une série de traditions. Mozart écrit autrement et c’est tout-à-fait différent ! On ne parle plus d’interprète mais plutôt d’artisan. Comment rendre justice à cette musique ? Je ne vois pas mon travail pas comme une interprétation, j’essaye plutôt de me rapprocher le plus possible du style, de l’esprit !

Pierre-Jean Tribot

Crescendo remercie vivement Laetitia d’Ursel de Outhere pour son aide précieuse dans la réalisation de cet entretien.

Gabriel Dupont : oeuvres symphoniques complètes (Les Heures Dolentes, Jour d’été, Le Chant de la destinée). Orchestre Philharmonique royal de Liège, Patrick Davin. 1 CD Fuga Libera FUG 751

 

 

Crédits photographiques : Julien Pohl

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.