À la découverte du méconnu Vytautas Bacevičius
Vytautas Bacevičius (1905-1970) : Concertos pour piano et orchestre n° 1 « sur des thèmes lituaniens » op. 12, et n° 2 op. 17 ; Symphonie n° 3 op. 33. Orchestre symphonique national de Lituanie, direction Christopher Lyndon-Gee. 2021. Notice en anglais. 74’ 38’’. Un CD Naxos 8.574414.
Pourquoi le patronyme de Vytautas Bacevičius, né à Lodz en Pologne, présente-t-il une différence avec celui de sa sœur Grazyna Bacewicz ? En 1926, à l’âge de vingt-et-un ans, le jeune homme, qui s’appelait Witold Bacewicz à sa naissance, décida de suivre son père Vincas, pianiste et compositeur, à Kaunas, capitale de la Lituanie, indépendante depuis huit ans, après sa séparation de l’Empire russe. Il adopta alors la forme lituanienne de son nom. Formé à Lodz par Józef Turczyński (1884-1953), élève de Busoni et spécialiste de Chopin, il se perfectionna à Kaunas avant, dès 1927, de se rendre à Paris auprès de Nicolas Tcherepnin (1873-1945). Élève de Rimsky-Korsakov et professeur de Prokofiev, ce dernier, qui quitta la Russie au moment de la Révolution, dirigeait alors le Conservatoire russe ; Santiago Riera (1867-1959) fut le professeur de piano du jeune Vytautas. Devenu un virtuose réputé et un pédagogue apprécié, ce dernier va se partager pendant plusieurs années entre Kaunas et Paris et donner de multiples concerts couronnés de succès. Il s’adonnera aussi à la composition. Il ne reverra pas sa sœur Grazyna pendant toute cette période, alors qu’elle était venue elle-même suivre les cours de Nadia Boulanger de 1932 à 1934. Il lui dédia néanmoins ses concerts et, en 1942, sa Symphonie n° 2.
La Lituanie fut envahie par les Nazis en 1939, alors que Bacevičius était en tournée en Argentine. Il s’exila alors aux Etats-Unis, où il donna des récitals et enseigna jusqu’à son décès. C’est lors d’une visite à Paris en 1961 qu’il revit enfin sa sœur, mais il ne retourna jamais sur sa terre natale. La notice, que signe le chef d’orchestre Christopher Lyndon-Gee, insiste sur le fait qu’il a toujours été un exilé : le compositeur ne s’est jamais vraiment habitué à la vie américaine, ce dont atteste une très abondante correspondance adressée à ses sœurs (la seconde, Wanda, fut journaliste et poétesse) et à des amis polonais et lituaniens. On lira avec intérêt les diverses informations apportées par ce texte très documenté consacré à ce créateur mal connu.
Le catalogue de Bacevičius comprend des pages orchestrales dont six symphonies, quatre concertos pour piano, un concerto pour violon, quatre quatuors, un opéra, des pièces pour orgue et de nombreuses pages pour le piano. Des productions récentes chez Toccata ont permis l’accès à un éventail de pages symphoniques, puis à des œuvres pianistiques, servies par Gabrielius Alekna, né en Lituanie, mais établi aux Etats-Unis. Cet interprète, diplômé de la Juilliard School, propose chez Naxos, en deux albums, l’intégrale des concertos pour piano de Bacevičius. Un premier volume, en 2015, offrait les n° 3 et 4, couplés à la suite Printemps. Cette fois, les deux premiers concertos et la Symphonie n° 3 approfondissent la connaissance du compositeur. Le deuxième concerto et la symphonie sont des premières gravures mondiales.
Attiré par Schoenberg et le dodécaphonisme, le Lituanien se considérait avant tout comme un héritier direct de Scriabine et de Varèse. Le Concerto n° 1, bâti d’après des thèmes populaires lituaniens, dont un célèbre chant folklorique, date de 1929. Cette partition brève en trois mouvements (un peu plus de quinze minutes) a la particularité d’inclure deux longues cadences en solo qui ouvrent les deux premiers mouvements, le thème populaire, très reconnaissable pour les Lituaniens, étant ensuite travaillé par l’orchestre, qui apparaît pour le première fois dans le catalogue du musicien. De façon très virtuose, dans un style personnel où pointe l’atonalité, Bacevičius fait déjà la preuve, à 24 ans, d’une personnalité affirmée. Celle-ci se confirme en 1933 dans le Concerto n° 2, qui utilise lui aussi des références poétiques populaires. Construite en quatre mouvements, cette partition, qui se déroule dans un climat souvent décontracté, propose à la fois des rythmes joyeux et des moments d’humour, mais aussi des phases mélancolique, le piano contrastant alors de façon décorative, dans un esprit léger. Les deux derniers mouvements, vifs, laissent le dialogue s’installer avec un orchestre coloré, dont les idées mélodiques se dispersent au fil du temps.
Jamais jouée du vivant du compositeur, gravée en première mondiale à Vilnius en octobre 2021 pour la présente gravure, la Symphonie n° 3 a été composée au début de l’installation aux Etats-Unis. Un peu comme un hommage à la nation accueillante qui lui ouvrait ses portes. Œuvre pleine d’énergie, avec quelques accents douloureux, évoquant sans doute l’exil, elle cite de façon très claire The Stars and Stripes Forever dans sa conclusion. Dans ce parcours dont la séduction n’est pas immédiate, le National de Lituanie, mené par le Londonien Christopher Lyndon-Gee, spécialiste de partitions peu fréquentées, fait preuve de rigueur et de concentration. Quant à Gabrielius Alekna, il s’implique de façon virtuose, mais aussi lyrique, pour faire vivre l’inspiration pianistique de son compatriote.
Son : 8 Notice : 10 Répertoire : 8 Interprétation : 9
Jean Lacroix