Isabelle Faust souveraine dans Britten
Benjamin Britten (1913-1976) : Concerto pour violon, Op. 15 ; Reveille (étude de concert pour violon avec accompagnement de piano) ; Suite pour violon et piano, Op. 6 ; Deux pièces pour violon, alto et piano. Isabelle Faust, violon ; Alexander Melnikov, piano ; Boris Faust, alto ; Orchestre symphonique de la Radio bavaroise, direction : Jakub Hrůša. 2024. Textes de présentation en français, anglais et allemand. 64’57’’. Harmonia mundi HM 902668
Longtemps mal-aimé (voire à peu près entièrement ignoré hors du Royaume-Uni), le concerto pour violon de Benjamin Britten prend depuis quelque temps la place qui lui revient dans le répertoire, sans doute à la fois parce que c’est l’un des chefs-d’oeuvre du compositeur mais aussi en raison de la nécessité pour les violonistes d’élargir leur répertoire au-delà de la douzaine de concertos à laquelle le public est exposé sans relâche.
On sait que chaque nouvel enregistrement d’Isabelle Faust est attendu avec impatience par les amateurs de violon et une fois de plus la brillante violoniste allemande se montre digne de sa réputation, nous offrant une interprétation de tout premier ordre de cette oeuvre si belle et émouvante.
Sur un plan purement technique, c’est peu dire qu’Isabelle Faust domine son sujet. Tout ici est remarquable (et on n’en admire que davantage la violoniste lorsqu’on sait que l’enregistrement offert ici a été réalisé au départ de deux concerts enregistrés par la Radio bavaroise à Munich en octobre 2021), à commencer par une justesse absolue, jamais prise en défaut et une sonorité invariablement pleine et rayonnante. La maîtrise de la ligne et du phrasé comme le dosage parfait du vibrato n’impressionnent pas moins. Mais tout ceci ne serait rien si ces exceptionnelles qualités n’étaient mises au service d’une interprétation exceptionnelle. Le premier mouvement fait l’effet d’un rêve éveillé, la soliste réussit à combiner une sonorité rayonnante à une hauteur de vues et une sérénité olympiennes.
Le Vivace central voit Isabelle Faust faire d’abord preuve d’une ironie et d’un mordant qui rappellent beaucoup Prokofiev et Chostakovitch puis d’une pudique tendresse dans la déchirante lamentation centrale. Isabelle Faust aborde ensuite la redoutable cadence -où les doubles cordes et les harmoniques ne lui posent aucun problème- avec un calme, une autorité et un équilibre imperturbables qui font beaucoup penser à la sûreté inébranlable d’un David Oistrakh.
Introduit par des trombones hiératiques, l’imposant finale en forme de Passacaille est dirigé de main de maître par un Jakub Hrůša qui, partenaire parfait à la tête d’un orchestre en toute grande forme, gère impeccablement la montée en tension de la musique jusqu’à l’hymne -marqué Lento e solenne- où le chef traduit avec beaucoup de justesse, l’oppressante atmosphère de joie forcée d’une musique où un sincère désir d’apaisement le dispute à une sourde intranquillité avant que la soliste, souveraine, ne conclue l’oeuvre en lui laissant son ambiguïté et son mystère.
On ne peut qu’applaudir à cette version magistrale, à l’intensité toujours maîtrisée, qui se hisse en tête de la discographie de l’oeuvre, même si l’on ne peut ignorer la tout aussi valable et très différente interprétation, sincère et palpitante, d’une Vilde Frang à la sensibilité à fleur de peau parue il y a quelques années chez Warner et chaleureusement saluée dans nos colonnes.
Là où la violoniste norvégienne couplait le concerto de Britten à celui de Korngold, Isabelle Faust offre un programme qui fait la part belle aux oeuvres écrites par le compositeur anglais pour le virtuose catalan Antonio Brosa (1894-1979), créateur du concerto pour violon en 1940 à New York.
L’étude de concert Reveille enchaîne en un peu moins de cinq minutes des phrases d’une belle douceur et d’un réel charme et des épisodes rapides aux exigences techniques de plus en plus élevées sur un fond imperturbable d’accords au piano, ici rendu dans des sonorités de cloches impalpables par l’excellent Alexander Melnikov.
Après une très brève introduction (17 secondes), la Suite pour violon et piano, Op. 6 s’ouvre sur une Marche délicieusement pince-sans-rire (on est britannique ou on ne l’est pas) avant de passer à un Moto perpetuo où les deux instruments ont fort à faire. On passe ensuite à une Berceuse (Lullaby) d’une belle éloquence où la violoniste tisse une belle mélodie soutenue par une partie de piano d’une douceur ravélienne. La Valse finale -spirituelle, gracieuse et ironique- est interprétée ici sans sentimentalité indue en ce compris dans d’amusants passages chaloupés assez peu viennois.
Ecrites en 1929 par un Britten de 16 ans, les Deux pièces pour violon, alto et piano ne furent publiées qu’en 2013 et on comprend à les écouter que le compositeur les ait reléguées dans un tiroir. Nous y entendons un jeune musicien incontestablement doué et très au fait de la musique de son temps mais qui se cherche encore tout en montrant d’évidentes dispositions.
La première pièce, Un poco andante, montre sa connaissance de la musique atonale de Schönberg et de Berg ainsi que l’influence de son maître Frank Bridge dans une musique dense et intense.
La deuxième, marquée Allegro con molto moto, permet aux cordes de se mettre en valeur dans de belles phrases mélodiques sur fond de piano « liquide » liszto-ravélien.
Isabelle Faust, son frère Boris à l’alto et Alexander Melnikov défendent avec beaucoup de conviction une oeuvre d’apprentissage qui est un intéressant document mais dont on comprend que le compositeur n’ait pas sanctionné la publication de son vivant.
Son 10 - Livret 9 - Répertoire 10 - Interprétation 10