À la Scala une fascinante SYLVIA
Pour ouvrir sa saison 2019-20, le Corps de ballet de la Scala et Frédéric Olivieri, son directeur artistique depuis 2002, choisissent un ouvrage insolite, Sylvia, le ballet en trois actes de Léo Delibes créé à l’Opéra de Paris le 14 juin 1876 et représenté une seule fois sur la scène milanaise, à la fin décembre 1894, dans la chorégraphie originale de Louis Mérante.
Pour cette nouvelle production, l’on a fait appel à Manuel Legris, ex-danseur étoile de l’Opéra et actuel directeur du Staatsballett de Vienne. Pour lui, Sylvia le ramène à ses premières années à l’Ecole de Danse où il avait vu la version de Lycette Darsonval avant de prendre part lui-même à la relecture de John Neumeier datant de 1997 qu’il a dansée au Palais Garnier. De cette stylisation modernisée qui rend l’intrigue confuse, sa vision est totalement diverse, ce qui l’a amené à collaborer avec Jean-François Vazelle pour réorganiser la trame, scène par scène, en respectant la tradition, ainsi qu’avec Luisa Spinatelli qui a créé des décors inspirés de l’Antiquité grecque et des costumes aux coloris caractérisant chaque groupe (le rouge pour les chasseresses, le vert pour les faunes). Et le résultat de cette longue et patiente élaboration a été présenté au Staatsoper de Vienne en janvier 2018, en co-production avec Milan.
Avant que le rideau ne se lève, le chef américain Kevin Rhodes empoigne littéralement la partition de Léo Delibes dont il met en valeur tant le génie mélodique que la richesse de l’orchestration. S’impose un esprit qui se révèle dès le prologue, réservé d’habitude à l’orchestre, mais qui explicite ici la trame : la déesse Diane, campée magistralement par Alessandra Vassallo, condamne ses chasseresses au vœu de chasteté dont l’incongruité lui saute aux yeux le jour où l’impétueux Endymion de Gioacchino Starace s’avance vers elle en ranimant sa passion. Alors que résonnent les cors de chasse, elle se ressaisit en reprenant son arc tandis qu’apparaît la nymphe Sylvia que personnifie Nicoletta Manni au sommet de ses moyens techniques, lui conférant une indéniable présence, toute de primesautière légèreté. L’arrivée du berger Aminta, rôle confié à Marco Agostino qui a l’ingénuité embarrassée du soupirant transi, rapproche la jeune femme de sa maîtresse courroucée, puisqu’elle partage la même situation sentimentale à la suite d’une flèche décochée par Eros qui a touché aussi le jeune pâtre. Sylvia est enlevée par le chasseur Orion, impérieux Gabriele Corrado qui a la superbe du rival voulant parvenir à ses fins en osant braver le fulgurant Eros de Mattia Semperboni.
L’habileté du chorégraphe consiste aussi à inscrire la trame dramaturgique en divers tableaux de genre où est mis au premier plan le corps de ballet dont la virtuosité est constamment sollicitée afin d’animer la troupe des chasseresses, les faunes et dryades habitant la forêt, les villageois célébrant la bonne chère et les compagnons d’Orion se livrant à la beuverie. Néanmoins, quel dommage que le Cortège de Bacchus soit entaché de la coupure du second motif « Ben sostenuto », ce qui en défigure l’originalité. Mais ce dernier tableau concentre l’intérêt sur le Divertissement où Sylvia est image de grâce insaisissable dans le célèbre Pizzicato et qu’Eros rivalise de pirouettes fouettées avec Aminta sous l’œil de la déesse qui finira par céder.
Au rideau final, d’interminables ovations pour les solistes, le corps de ballet et le chef d’orchestre qui ont fait découvrir un ouvrage de référence au public italien.
Paul-André Demierre
Milan, Teatro alla Scala, le 18 décembre 2019
Crédits photographiques : Brescia e Amisano