A Lausanne, une ARIADNE restituée à l’opéra de chambre

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Une vaste paroi de couleur neutre, trois portes dont celle du milieu s’ouvrant sur un débarras contenant les fusées et feux d’artifice de fin de soirée, le Compositeur et son professeur en complet noir, le Maître à danser, perruque orange sur habit bleu canard, le Perruquier en punk oxygéné, le Majordome en uniforme gris à col Mao, tout ce monde s’agite dans ce Prologue d’Ariadne auf Naxos mise en scène par David Hermann dans des décors de Paul Zoller, des costumes de Michaela Barth, des éclairages de Fabrice Kebour. Mais l’arrivée de Zerbinetta, flanquée de ses partenaires habituels, Harlekin, Scaramuccio, Brighella et Truffaldin, fait aussitôt référence à l’esprit de la ‘commedia dell’arte’ et à ses costumes de tradition.

A la tête de l’Orchestre de Chambre de Lausanne, Frank Beermann profite de l’exiguïté de la fosse imposant une formation réduite à l’essentiel pour restituer l’ouvrage à l’esprit de la musique de chambre, ce dont la plupart des grandes maisons d’opéra ne font aucun cas. Et sur le plateau se profile d’abord le personnage du Compositeur campé par l’élégante mezzo néerlandaise Deirdre Angenent qui, une fois passés les premiers aigus fortement tirés, met en valeur un timbre corsé à la palette expressive large, ce qui lui permet de passer des éclats de colère intempestifs à l’émotion la plus touchante, lorsqu’il s’éprend de la pimpante Zerbinetta. En Maître de Musique rivé à son bon sens, Olivier Karg réussit à canaliser ses sautes d’humeur, tandis qu’Andreas Jaeggi est un Maître à danser d’une cocasserie aussi inénarrable que le Perruquier ‘gothique’ de Joël Terrin. Raphaël Hardmeyer a la prestance d’un Laquais armoire à glace face au Majordome de Martin C.Turba à l’éloquence péremptoire.

Lorsque le rideau se lève sur la représentation de l’opéra, le décor côté jardin recourt à la toile peinte pour suggérer un sous-bois à la Watteau jouxtant un cénotaphe et un escalier de marbre noir atteignant les cintres. Les trois nymphes en tunique délavée (bonnes Dryade de Myriam Bouzhada et Najade de Julie Martin du Theil face à l’Echo trébuchante de Rira Kim) précèdent de leurs mélismes redoutables l’entrée d’une Ariadne de vingt-neuf ans, Christina Nilsson, suédoise comme son illustre devancière, ayant déjà les moyens du grand soprano dramatique avec une tenue de ligne magistrale et un aigu fulgurant, même si manque encore au timbre une patine plus homogène. Tout aussi jeunes, le ténor Michael König, incarnant avec panache et sûreté d’aigu un Bacchus qui, pour une fois, n’est pas dévolu à un artiste en fin de carrière, ainsi que la soprano québécoise Marie-Eve Munger qui, l’air de ne pas y toucher, est une Zerbinetta primesautière, pimentant de contre-notes aisées sa grande scène « Grossmächtige Prinzessin ! » et jouant la fine mouche pour mener par le bout du nez l’Harlekin un brin naïf de Jonathan McCullough ; et les entreprenants Scaramuccio (François Piolino), Truffaldin (Daniel Golossov) et Brighella (Aurélien Reymond-Moret) font ouvertement la cour aux trois nymphes médusées, alors que le Compositeur quitte la coulisse pour se rappeler au bon souvenir de la séduisante Zerbinetta.

Et comme tout fonctionne bien quand l’Ariadne de Richard Strauss retrouve sa dimension d’opéra de chambre !                          

Paul-André Demierre

Lausanne, Opéra, première du 17 mars 2019

Crédits photographiques : Alan Humerose

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