A Lausanne, un COSÌ FAN TUTTE désopilant  

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Au milieu de la scène trône un écran de cinéma où défile le générique d’un film, La Scuola degli Amanti, réalisé par Alfonso Produzione, coût de l’opération : 100.000 euros. Voilà ce que découvre, durant l’Ouverture, le spectateur ébahi par cette relecture de Così fan tutte qui est due à Jean Liermier, l’actuel directeur du Théâtre de Carouge, concepteur d’une époustouflante My Fair Lady en décembre 2015. D’emblée, il avoue avoir trouvé son inspiration dans la téléréalité de Mon incroyable fiancé et surtout dans celle de L’île de la tentation.

Les décors et costumes de Rudy Sabounghi et les lumières de Jean-Philippe Roy nous transportent donc sur un plateau de tournage surmonté d’une passerelle métallique où s’accumulent les projecteurs. Une vaste salle de conférence avec pupitre d’orateur s’ouvre sur un balcon surplombant le centre de Naples. Don Alfonso revêt smoking bleu et nœud papillon, Ferrando et Guglielmo portent l’uniforme des officiers de marine, tandis que Fiordiligi essaie sa robe de mariée face à Dorabella exhibant capeline et tenue de soirée satinée. Lorsque, avec leur balluchon sur les épaules, les deux soupirants partent pour la guerre, Despina en servante accorte pactise un moment avec le misanthrope afin de leur permettre de reparaître en hippies dégingandés ayant troqué la barbe contre une longue mèche à l’œuf et une crinière à la Moustaki. Au moment où Guglielmo veut attenter à ses jours dans une baignoire, la bonniche se travestit en ‘samu’ de service pour le ranimer avec une torche laser ; revenu à la vie, il s’étendra sur sa couche comme le Sardanapale de Delacroix, déterminé à vaincre la résistance de Dorabella ; et c’est l’écran TV qui nous fera voir la suite… Pour la cérémonie nuptiale, Despina joue le rôle de l’officier d’état civil, faisant déployer la banderole tricolore. Le finale sollicite même le spectateur qui doit saisir sa tablette et sélectionner un chiffre afin de choisir le dénouement de l’intrigue. Donc, à ce rythme endiablé, personne ne se rend compte que plus de trois heures de spectacle se sont écoulées !

Dans la fosse, le jeune Joshua Weilerstein, directeur artistique de l’Orchestre de Chambre de Lausanne, impose à ses musiciens des tempi serrés pour rendre l’Ouverture pimpante ; mais cette constante rapidité occasionne quelques décalages avec le plateau. Par contre, le Chœur de l’Opéra de Lausanne préparé par Pascal Mayer est de cohésion parfaite dans ses rares interventions.

Sur scène, cinq des solistes apparaissent pour la première fois en ce théâtre, ce qui n’est pas le cas de Bruno De Simone, vieux loup de mer à la diction impeccable, qui a triomphé ici en Dulcamara et en Don Bartolo du Barbiere di Siviglia ; et son Alfonso a la verve retorse du sceptique sûr de parvenir à ses fins. Tout aussi fine mouche se révèle Susana Cordon (remplaçant Leontina Vaduva, initialement prévue), qui campe une Despina bonne fille tirant les ficelles avec une adresse qui lui vaut d’être immédiatement adoptée par le public. Véritable force de la nature, le baryton canadien Robert Gleadow ne fait qu’une bouchée de Guglielmo, car il possède l’entregent du tombeur patenté. Vraisemblablement en méforme en début de soirée, la Fiordiligi de Valentina Nafornita masque sous sa ligne de chant une émission rocailleuse et une dureté de l’aigu qui entachent son ‘Come scoglio’ ; néanmoins, au second acte, le récitatif et le rondò ‘Per pietà, bell’idol moi’ révèlent ses qualités de phrasé et un beau coloris sur l’ensemble de la tessiture. Le Ferrando du ténor madrilène Joel Prieto a une sonorité étriquée poussée à l’extrême dans le forte et un haut medium fixe qui raidit son legato dans une aria suave comme ‘Un’ aura amorosa’. Et la débutante Stéphanie Guérin est encore trop verte et pointue pour être une Dorabella convaincante. Donc un Così à retenir surtout pour sa cocasserie visuelle.                          

Paul-André Demierre

Lausanne, Opéra, le 31 octobre 2018

Crédit photo graphique : Alan Humerose

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