A l’OSR, un chef enthousiasmant, Daniel Harding
Pour son deuxième concert de saison, l’Orchestre de la Suisse Romande invite le chef britannique Daniel Harding que l’on entend rarement sous nos latitudes. Dans un programme sans entracte de près d’une heure et demie, il a la judicieuse idée de mettre en perspective une page brève d’Eric Tanguy, Matka, et la Quatrième Symphonie de Jean Sibelius.
La première citée a été composée en 2015 pour répondre à une commande de l’Orchestre de Jyväskylä et de son chef Ville Matvejeff, qui en assurèrent la création le 9 décembre 2015. En finnois, ‘matka’ signifie ‘voyage’ ; et c’est bien l’impression que produit cette pièce pour grand orchestre, baignant dans un halo mystérieux que traverse la section des bois érigeant le tutti comme des parois sonores qui finissent par se morceler pour faire place aux segments mélodiques pailletés de fluorescences. L’on ne peut que songer à Sibelius lorsque les unissons de cuivres produisent des climats fortement contrastés trouvant leur apaisement dans une péroraison jubilatoire.
Dans la production de Jean Sibelius, la Quatrième Symphonie en la mineur op.63 est l’une des moins prisées, et ceci dès sa création à Helsinki le 3 avril 1911 sous la direction du compositeur lui-même qui avalisera la remarque d’un critique : « C’est une protestation véhémente contre la musique moderne ». De cette partition âpre rongée par le doute, Daniel Harding dégage le caractère élégiaque suggéré par les cordes graves d’où émergera le violoncelle corsé d’Aram Yagubyan développant un chant éploré ; les vents produisent une pesanteur tragique qui émeut les violons se diluant peu à peu en un bruissement étrange. Mais le hautbois pimpant tire aussitôt le rideau pour dessiner un bref scherzo dont la vitalité est soulignée par la précision du trait. Le contraste est d’autant plus saisissant dans le tempo largo qui s’y enchaîne avec ses deux flûtes envoûtantes imprégnant ce paysage en demi-teintes d’une insondable tristesse. Dans le finale, violoncelle et violon soli dialoguent avec le glockenspiel sur un pianissimo lancinant des cordes ponctué d’étranges pizzicati. De violentes oppositions de coloris troublent l’atmosphère sans parvenir à s’imposer ; et l’œuvre s’achève en de mystérieux points de suspension.
Entre ces deux œuvres fascinantes est intervenue Maria Joao Pires, pianiste cajolée par le public genevois, pour interpréter le Deuxième Concerto en fa mineur op.21 de Fryderik Chopin qui n’avait pas besoin d’un tel effectif orchestral pour une instrumentation légendairement maladroite. Devant tant d’exubérance, la soliste veut ‘avancer’ délibérément en appuyant les basses afin d’accuser les contrastes entre un discours péremptoire et un jeu perlé qui deviendra éloquent avec la formule en arpège ouvrant le Larghetto ; alors que le canevas instrumental paraît presque translucide, le cantabile confine ici à l’aria de melodramma abondamment ornementée, comme si l’on s’était faufilé dans une loge aux ‘Italiens’. L’Allegro vivace conclusif bénéficie d’un phrasé souple empreint d’une profonde nostalgie. Devant les applaudissements chaleureux de son public, la pianiste, tout sourire, est épaulée par le chef qui tire un tabouret pour ébaucher à quatre mains le Jardin féérique extrait de Ma Mère l’Oye. Mais relevons surtout que, à la fin du concert, musiciens et spectateurs enthousiastes plébisciteront le maestro qui en est visiblement touché. Que l’on songe donc à le réinviter rapidement !
Paul-André Demierre
Genève, Victoria Hall, le 23 septembre 2020
Crédits photographiques : Christophe Archambault