A Naples, une aubaine ratée : la résurrection d’Ermione

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Ermione est le sixième ouvrage dramatique que Rossini élabora pour le San Carlo de Naples, sur un livret d’Andrea Leone Tottola inspiré de l’Andromaque de Jean Racine. Optant pour une esthétique classique tributaire à la fois de l’Iphigénie en Aulide de Gluck et de La Vestale et de Fernand Cortez de Spontini, cette ‘azione tragica’ en deux actes fut créée sur la scène napolitaine le 27 mars 1819 avec la fleur des chanteurs rossiniens du moment, le soprano Isabella Colbran dans le rôle-titre, la contralto Rosmunda Pisaroni pour Andromaca, les ténors Andrea Nozzari (Pirro) et Giovanni Davide (Oreste) et la basse Michele Benedetti (Fenicio) ; mais ce réalisme tragique innovateur suscita l’incompréhension du public durant sept représentations qui constituèrent l’unique production napolitaine jusqu’à celle-ci, inaugurée… deux cents ans plus tard en date du 7 novembre 2019, laissant les spectateurs tout aussi perplexes qu’au soir de la première. Mais Rossini, conscient de la valeur de son œuvre, conservera auprès de lui jusqu’à ses derniers jours le manuscrit autographe qui finira dans la Réserve de l’Opéra de Paris sous cote 649.

Aujourd’hui, n’importe quel connaisseur place l’ouvrage au rang des ‘opere serie’ les plus innovatrices du musicien, ce que s’efforce de mettre en lumière le chef Alessandro De Marchi, spécialiste du baroque, qui, dès la ‘Sinfonia con cori’ si surprenante, joue la carte de la précision du trait, tout en laissant intervenir en coulisse le choeur masculin tout en nuances (préparé par Gea Garatti Ansini) ; mais plus l’action progresse, plus se révèle une carence du souffle dramatique qui devrait galvaniser cette interminable tragédie.

Conspuée le premier soir par un public outré, la mise en scène de Jacopo Spirei se veut esthétisante en déplaçant la trame à l’époque de la composition dans un intérieur de marbre blanc confinant à un monde clos. Le décor de Nikolaus Webern consiste en parois amovibles  qui suggèrent une prison souterraine retenant des migrants phrygiens, tandis que six figurantes statiques, engoncées dans leurs tuniques immaculées, entourent le petit Astyanax. Puis sous d’habiles éclairages conçus par Giuseppe Di Iorio, se succèdent les extérieurs et intérieurs du palais de Pyrrhus, roi d’Epire, incluant notamment une tribune de sénat et ses couloirs débouchant sur une ultime vision sanglante, un repas de noces tournant à la nuit des longs couteaux. Quant aux costumes de Giusi Giustino, ils souscrivent au prêt-à-porter actuel, laissant apparaître néanmoins les uniformes militaires de Fenicio et de ses sbires, la redingote académique rouge d’Oreste, le complet-veston outremer de Pyrrhus qui contrastent lourdement avec la robe de soirée orangée d’Andromaque et le bleu impérial qu’aurait pu arborer l’Ermione d’Isabella Colbran.

A l’affiche figure une double distribution. La seconde du 10 novembre est inégale avec une Arianna Vendittelli, succédant à Angela Meade dans le rôle d’Ermione dont elle possède le grain sombre, le vibrato serré et la présence de l’héroïne sacrifiée ; mais en aucun cas elle n’est le véritable ‘soprano drammatico di agilità’ en mesure de négocier une écriture hérissée de ‘passaggi’ invraisemblables qui dépassent ses moyens, notamment dans une scène finale tombant totalement à plat. L’on en dira de même du ténor américain John Irvin s’attaquant au tout aussi redoutable Pirro avec une émission engorgée dans un timbre nasal au volume trop limité, ce qui ne l’empêche pas de livrer une coloratura soignée qui ne produit aucun effet sur les spectateurs le sifflant au rideau final. Et son rival, l’Oreste d’Antonino Siragusa, tire adroitement son épingle du jeu en masquant ses aigus astringents sous une indéniable musicalité et une diction irréprochable. Par contre, l’heureuse découverte de la soirée est l’Andromaca de Teresa Iervolino ; entendue l’été dernier à Pesaro sous les traits d’Ernestina dans L’Equivoco stravagante, elle n’avait produit qu’une voix gutturale trouvant son assise avec peine alors qu’ici, elle fait miroiter un coloris beaucoup plus homogène facilitant l’exécution du chant orné. Face à Julian Henao prêtant une clarté d’aigu à Pilade, le Fenicio de la basse Ugo Guagliardo manque d’assurance en donnant l’impression d’avoir une patate dans la bouche. Adéquats, les seconds plans (la Cleone de Gaia Petrone, la Cefisa  de Chiara Tirotta, l’Attalo de Cristiano Olivieri) pour une Ermione qui méritait meilleure fortune dans le théâtre qui l’a vue naître !                                                       

Paul-André Demierre

Naples, Teatro di San Carlo, le 10 novembre 2019

Crédits photographiques :  Francesco Squeglia

 

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