A la Scala, une indémodable Cenerentola

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Pour commémorer la disparition de Claudio Abbado survenue il y a cinq ans, la Scala de Milan reprend l’une des productions marquantes de sa direction artistique, La Cenerentola mise en scène par Jean-Pierre Ponnelle. Conçu pour le Mai Musical Florentin de 1971, présenté sur ce plateau  en avril 1973, le spectacle y a été reproposé trois fois sous la baguette du maestro, tout en étant affiché parallèlement à Vienne, Moscou, Londres et Washington. Puis pendant vingt ans, il a disparu de la programmation avant d’y revenir en juillet 2001 et en juin 2005.

Immortalisée par le disque et la vidéo, cette production, dont Jean-Pierre Ponnelle avait assuré régie, décors et costumes, est aujourd’hui reprise par son assistant, Grischa Asagaroff. Et l’œil est toujours flatté par cette imagerie d’Epinal en plusieurs dimensions qui semble replacer la demeure délabrée de Don Magnifico dans les cartons conçus en 1825 par Francesco Bagnara pour la Fenice, alors que le palais du Prince de Salerno arbore fièrement comme fronton l’un des motifs de chasse de Benvenuto Cellini. Et les costumes sont toujours aussi suggestifs, que ce soient ceux d’Angelina troquant ses haillons délavés contre une tenue d’apparat noire, rehaussée de galons d’argent, puis une crinoline matrimoniale d’un blanc immaculé, alors que Don Magnifico et ses filles semblent surgir d’un Siècle des Lumières de pure fantaisie ; d’une imagerie hollywoodienne pour enfants s’échappent Don Ramiro et sa suite de courtisans chamarrés. Quant à la mise en scène, elle accumule  les clins d’œil, de la séance de gymnastique des deux pimbêches et du lever de leur père en chemise et bonnet de nuit à la venue des chasseurs déroulant tapis rouge pour le faux Ramiro, de la silhouette d’Alidoro décuplée en ombre chinoise au souper de bal sur lequel tous se jettent avec voracité , pour en arriver au tableau final où Clorinda et Tisbe s’évanouissent, plutôt que de faire amende honorable face à leur demi-sœur accédant au trône.

Quant à la musique, l’on en a confié la direction à Ottavio Dantone, certainement dans  l’idée de renouer avec la sobriété d’interprétation d’un Abbado. Et ceci se perçoit dès l’Ouverture, toute en finesse, jouant de la précision du trait pour dégager le coloris émoustillant de l’orchestration et pour susciter sa dynamique roborative ; mais, curieusement,  le Chœur masculin du théâtre semble totalement réfractaire à sa battue.

Sur scène s’impose la mezzo française Marianne Crebassa, dont on a  beaucoup parlé lors de l’exhumation de Fantasio d’Offenbach à l’Opéra-Comique. La couleur de la voix rappelle la jeune Frederica von Stade par la patine mordorée et par la technique aguerrie de la vocalisation ; seul, l’aigu manque encore de consistance, ce qui rend l’émission, trémulante. En est l’exact opposé le ténor Maxim Mironov qui, de l’extrémité de tessiture, fait sa carte maîtresse afin de développer un phrasé intelligent, magnifiant sa conception du Prince Ramiro. Annoncé souffrant au lever de rideau, Carlos Chausson n’en laisse rien paraître, tant son Magnifico crève l’écran par sa constante cocasserie et son élocution parfaite, ce que l’on dira aussi de ses pestes de filles,  Clorinda et Tisbe, campées par deux élèves de l’Académie de la Scala, Sara Rossini et Anna Doris Capitelli, qui ont toutes deux un avenir prometteur. Par contre, Erwin Schrott se laisse totalement dépasser par la coloratura épineuse de l’aria « Vasto teatro è il mondo », même si son Alidoro exhibe la dimension visionnaire du démiurge. Et c’est le Dandini haut en couleurs de Simone Alaimo qui confère la touche ‘bon enfant ‘ à cette production qui mérite de perdurer.

Paul-André Demierre

Milano, Teatro alla Scala, 16  Février 2019

Crédits photographiques : Erio Piccagliani

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