À Saint-Florian, la Neuvième de Bruckner pour les 97 ans de Herbert Blomstedt

par

Anton Bruckner (1824-1896) : Symphonie n° 9 en ré mineur. Orchestre symphonique de Bamberg, direction Herbert Blomstedt. 2024. Notice en allemand, en anglais et en français. 66’ 25’’ (+ 19’ de bonus). Un DVD Accentus ACC 20661. Aussi disponible en Blu Ray.

La célébration du bicentenaire de la naissance d’Anton Bruckner, né le 4 septembre 1824, a été l’occasion de multiples hommages. L’un des plus émouvants s’est sans doute déroulé à l’abbaye de Saint-Florian, lieu récurrent dans l’existence du compositeur, qui y fut petit chanteur puis instituteur adjoint et organiste, étudia souvent dans la bibliothèque abbatiale et y composa, logeant dans la chambre d’hôte mise à sa disposition. On sait que son cercueil a été placé, selon son souhait, dans la crypte située en-dessous de l’église. La date de naissance d’un de ses fidèles interprètes, Herbert Blomstedt, le 11 juillet, a été l’occasion de rendre hommage à ce dernier, doyen de sa corporation en activité. Le jour de ses 97 ans, ce chef suédois né aux États-Unis a pu diriger, à la tête de l’Orchestre symphonique de Bamberg, la Symphonie n° 9 du natif d’Ansfelden. 

La phalange bavaroise a de profondes affinités avec la musique de Bruckner, et Blomstedt qui a été, au cours de sa carrière, en poste notamment à Dresde, San Francisco ou Leipzig, en est le chef honoraire depuis 2006. Il l’a dirigée plus de deux cents fois depuis 1982, en Allemagne ou en tournées internationales. Au fil du temps, toutes les symphonies de Bruckner ont été inscrites aux programmes, la Neuvième à plusieurs reprises. Le concert du 11 juillet 2024 a été filmé et est proposé par Accentus, qui a déjà mis à disposition sur DVD plusieurs symphonies de Beethoven et son Concerto pour piano n° 1 (avec Martha Argerich), dirigés par Blomstedt, ainsi qu’un documentaire qui lui a été consacré.

Il y a des documents qui se doivent d’échapper à la critique pure et dure, en raison de leur spécificité et de leur valeur de témoignage. C’est le cas de ce concert donné devant un nombreux public réuni dans l’église de Saint-Florian, revêtue de lumières bleutées, le réalisateur ayant la bonne idée de montrer, en cours de prestation, stalles, colonnes et œuvres d’art de ce magnifique édifice. Herbert Blomstedt dirige assis, sans baguette, avec des gestes parcimonieux, toute sa conception de l’œuvre passant par les nuances et les inflexions de ses mains et de ses doigts, qui accentuent ou cisèlent un trait, enclenchent un crescendo, soulignent un trait ou distribuent, avec une efficace économie de moyens, les entrées solistes comme le déclenchement de tutti. Toute son énergie, encore débordante - ce que démontre une interview de près de quinze minutes, offerte en bonus -, passe par un magnétisme qui contrôle les tensions comme les apaisements, les aspects intimes comme les appels grandioses. Les pupitres bambergeois répondent à ces indications, ou plutôt à ces incitations, avec une empathique complicité.

Dans ses propos, Blomstedt considère les symphonies de Bruckner comme la représentation de la nostalgie de l’éternel. Il souligne le fait qu’elles ne sont pas religieuses ou même catholiques au sens strict du terme ; elles sont de la musique profane pour salle de concert. Il précise encore qu’en ce qui le concerne, il n’est pas imaginable d’aller, dans la Neuvième, au-delà de l’Adagio. Je ne veux pas, dit-il, jouer quelque chose d’inachevé, même si nous savons que Bruckner voulait terminer cette symphonie et non pas la conclure par cet Adagio.

À l’inverse de celle, comme un adieu quasi mystique, que Leonard Bernstein donna fin février 1990 à la Philharmonie de Vienne, un peu plus de six mois avant sa disparition (un DVD Euro Arts, 1991), la conception de Blomstedt n’est pas spiritualiste, mais elle a de la hauteur de vue. On entend, dans le Feierlich, misterioso la lutte de la destinée humaine, avec des cordes marquées par la gravité et des climax puissants. Le Scherzo, nourri d’un énergique sens du mouvement, baigne dans une atmosphère dramatique plus que tragique. Dans l’Adagio, l’aspiration à l’éternité, en quête de sens, a des côtés lyriques que l’on peut estimer un peu « parsifaliens », dans un contexte de beauté intemporelle, que les appels des cuivres rendent poignante. C’est là que l’émotion trouve sa vraie dimension, servie, comme tout au long de la symphonie, par un orchestre attentif aux propositions esquissées, mais parfaitement assimilées, par la gestique d’un chef dont la transmission est devenue celle de l’essentiel.

Ce concert est un document, à prendre tel quel, sans chercher la comparaison discographique, ce qui n’aurait guère de sens. C’est la musique qui s’exprime ici, à l’état brut et immatériel. Mais aussi dans sa dimension chaleureusement humaine, ainsi qu’on le constate dans un autre bonus sans public, d’à peine quatre minutes, au cours duquel l’orchestre de Bamberg offre à Blomstedt, pour son anniversaire, l’interprétation-surprise d’une adaptation d’une tendre sérénade suédoise. Le livret propose aussi quelques photographies en couleurs de la formation bavaroise, ainsi que celle, prise vers 1935, de la « chambre d’hôte » qu’occupa Bruckner lors de ses séjours à Saint-Florian. C’est dans cet espace quelque peu modernisé, mais chargé de symboles, que Blomstedt a lui aussi travaillé, comme le montre un cliché de 2017. Quoi de plus parlant que ce lien entre un créateur et l’un de ses fervents défenseurs ?             

Note globale : 10

Jean Lacroix

Chronique réalisée sur la base du DVD.

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